L’Aveyron au temps des grandes épidémies

Lèpre, peste, choléra, grippe espagnole, Covid19. Ces maux qui entraînent le retranchement du monde.

Par l’effroi qu’elles répandent, par la fragilisation des structures économiques et sociales, par les rumeurs qu’elles engendrent et surtout par les pertes effroyables qu’elles provoquent, les grandes épidémies rythment notre histoire, se répandant à travers le Monde, sans connaître ni frontières terrestres ni frontières sociales.

Mal des Ardents, suette, lèpre, peste, choléra, typhus et grippe espagnole, autant d’épidémies contre lesquelles les hommes de tous les temps ont tenté d’abord de lutter puis de se prémunir avec les armes qui étaient les leurs.
Aujourd’hui, dans nos sociétés inconscientes que de tels fléaux pouvaient se reproduire, le COVID19 vient nous rappeler qu’une épidémie peut bouleverser en quelques semaines nos vies, nos systèmes socio-économiques en s’adaptant à la mondialisation ; qu’elle provoque ce retour de la peur ancestrale des populations. Que finalement, nos attitudes – celles des gouvernants et celles des populations – se ressemblent d’un siècle à l’autre comme nous le verrons à travers ces différents focus sur l’Aveyron au temps des grandes épidémies. Avec une certitude tirée de tous ces épisodes épidémiques : la vie reprend toujours son cours…

La lèpre. L’épidémie concentrationnaire

Tous les Millavois connaissent le lieu de la Maladrerie, à proximité des eaux du Tarn. Un nom qui se retrouve dans d’autres villes françaises, décliné aussi en ladrerie et léproserie. Cette maladie infectieuse dont le bacille est identifié en 1873 par le norvégien Hansen est redoutée des populations du fait de son caractère hideux et repoussant. Apparue en France dès le IIe siècle de notre ère, elle se développe surtout entre le XIIIe et le XVe siècle. Au début du XIIIe siècle, le royaume français compte alors 4000 léproseries abritant environ 60000 lépreux.
Les signes de la lèpre sont facilement reconnaissables. Visages déformés, atrophie des mains, des doigts de pieds, formation d’écailles sur le corps, ce qui les rend aussitôt repérables. Dénoncé, le lépreux passe devant un jury formé d’un prêtre, d’un prévôt et d’un médecin qui le condamnent à rejoindre une maladrerie. Avant son départ, une messe des morts est célébrée durant laquelle le prêtre verse sur la tête du lépreux de la terre du cimetière pour lui signifier qu’il appartient désormais au royaume des morts.
L’historien aveyronnais Henri Affre écrit : « Les hôtes des maladreries se voyaient condamnés à passer leurs jours dans une solitude absolue ; il ne leur fallait rien moins qu’une foi vive et une grande résignation à la volonté de Dieu, pour supporter patiemment et sans murmure les angoisses et les tristesses d’une aussi misérable condition. »

Les maladreries de Rodez

En Aveyron, une première mention d’une léproserie est citée en 1176 à Rodez, au lieu-dit Combecrose, dans la côte du Monastère montant vers Banocres. Une seconde, puisque Rodez est divisée en deux villes (Cité et Bourg), voit le jour en 1204, à proximité du château de Canac, sur la rive gauche de l’Auterne. Le but de ces établissements est de maintenir éloigné les lépreux, les condamnant à une vie commune, loin de leurs parentés. Comble de leur état, les malades doivent payer un droit d’entrée proportionné à leurs ressources. En de rares occasions pouvaient-ils pénétrer en ville comme le rappelle une ordonnance de la léproserie de Combecrose en 1541 : « Les dimanches et jours de fêtes et autres jours accoutumés, les dits maladres viendront dans la ville de Rodez et autres lieux accoutumés pour faire la quête ; et ils seront tenus de se retirer et demeurer séparés et non se mélanger aux autres ; et quand ils passeront par les rues, ils sonneront les crécelles afin que les passants s’éloignent d’eux et de leur haleine. »
Un commandeur était chargé d’administrer la maladrerie tandis que les autorités consulaires de la ville devaient chaque année payer une pension annuelle sous forme d’argent mais aussi en livrant un cochon bien gras, du sel, du bois et de la toile.
Parfois, quelque événement pouvait susciter un peu de bonheur tel ce mariage interne en 1541 entre le fils d’un lépreux de Rodez avec une lépreuse de Saint-Antonin.
La léproserie de Combecrose est encore habitée en 1641. Quant à celle proche de Canac, sa dernière lépreuse du nom de Bénézech s’éteint en octobre 1681. La lèpre disparaît alors de nos contrées, ne laissant en souvenir que ses différents noms de lieux.

A lire : Roger Nougaret. Hôpitaux, léproseries et bodomies de Rodez. De la Grande peste à l’hôpital général : vers 1340-1676, Rodez, Subervie
Henri Affre. Lettres sur l’histoire de Rodez, 1874

« De la peste, de la famine, de la guerre, délivrez-nous Seigneur ! »

Une supplique qui montre combien la peste était redoutée des humains.

La peste. Le Grand Mal

Peste noire. Peste bubonique. Peste pneumonique. Tout autant que la faim et les invasions, la peste laisse une trace indélébile dans notre Histoire. Par son extension rapide, par sa brutalité soudaine à semer la mort en quelques jours. Dévastant villes et campagnes, elle sème le désarroi et bouleverse les rapports sociaux, les populations y soupçonnant souvent « les noirs desseins d’un ennemi intérieur ».

Le long cortège des morts
Nous sommes au XVe siècle. Il suffit de lire les registres de paroisse, les ordonnances des villes et les actes notariés pour percevoir la litanie de la peste et son chemin mortifère. La voilà à Villefranche-de-Rouergue en 1439 puis en 1454, année où la population villefranchoise est décimée, obligeant les autorités sénéchales à se déplacer à Sauveterre. Millau en juin 1456 ; Rodez en octobre. Retour en septembre 1458 sur le piton. En 1463, Villefranche perd la moitié de sa population, soit 4000 victimes. L’année suivante, elle ravage à nouveau Rodez : « La contagion désole la cité ; presque tous les habitants l’avaient désertée », écrit un contemporain. Présente encore à Rodez de mai 1471 à mars 1472 puis à Villefranche, en mars 1474.
Deux siècles plus tôt, en l’an 1248, la peste sévit déjà en Rouergue, enlevant la moitié des habitants. L’évêque Vivian se lamente : « Quel cruel fléau nous afflige ! Un peuple innombrable a péri et périt, hélas ! tous les jours ! Les villes, les châteaux, les villages sont déserts ; dans plusieurs campagnes, il ne reste plus personne pour servir, pour moissonner, pour lever la récolte. Plusieurs maisons sont sans un seul habitant ; des familles entières ont été emportées, si bien qu’il ne reste aucun parent pour succéder aux biens des morts. Les églises, les monastères sont sans ministres ; ceux que la peste n’a pas atteint ont en horreur leurs parents malades ; il n’y a personne pour les soigner dans leur lit ; personne pour les ensevelir lorsqu’ils sont morts. Les cimetières publics ne peuvent plus contenir tous les cadavres. »
En 1348, durant laquelle le tiers de la population meurt en Europe, un Rouergat écrit : « Les malades, affaiblis et atteints de la fièvre, vomissaient pendant trois jours complets, ils expiraient le quatrième jour. L’art des médecins ne servit à personne, et ceux qui furent atteints par le fléau périrent sans aucune exception. » Pour faire face à l’épidémie, les autorités ruthénoise créent un hôpital pour pestiférés le long de la rivière de l’Auterne tandis que l’évêque Gilbert de Cantobre tente d’endiguer le fléau en ordonnant des processions dans l’étendue de son diocèse au moins une fois par semaine.

Le lourd tribut démographique
Au XVIe siècle, la peste touche à nouveau durement le Rouergue. Sylvie Mouysset, dans son ouvrage « La peste en Rouergue au XVIIe siècle », relève sept temps de peste au XVIe siècle et quinze temps au siècle suivant, d’une durée pour chacun d’un à quatre ans, séparé par des périodes de relative accalmie.
Une variété de maux accompagne l’épidémie, tels le choléra, le typhus ou la variole, faisant croître le nombre des victimes.
« De 1547 à 1550, écrit l’historienne, la peste s’installe à Villefranche-de-Rouergue ; elle reparaît dans cette ville en 1558 et fait, selon la chronique, 3000 victimes sur trois mois… »
Puis durant quarante ans, la peste abandonne le Rouergue pour réapparaître en 1628.

1652-1653. Rodez envahi par la peste
Présente à Rodez en 1502, 1511, 1517, 1522, 1552, 1586, elle provoque la mort de trois milles personnes en 1630. Avant d’envahir la ville en 1652, marquant les esprits. Le fléau s’introduit insidieusement par l’intermédiaire d’un moine cordelier qui infeste son couvent avant de gagner la Cité et le Bourg. La peste ne surprend pas les autorités informées de son extension dans le Midi et cela en dépit des précautions prises pour éviter toute pénétration.
Sa propagation fulgurante provoque la fuite des bourgeois dans leurs domaines du Vallon ou en périphérie vers leurs demeures secondaires ; les pauvres, hors les remparts.
Pendant ce temps, les consuls se chargent de purifier la cité, nettoyant places, rues et maisons infestées ; enterrant au plus vite les morts et obligeant les vivants à laver le linge. Des déséreurs de peste arrivent de Figeac. La peste continue malgré tout sa progression, ne laissant aux survivants qu’une adresse au Ciel en faisant « le vœu de jeuner à perpétuité la veille de sa très pure et immaculée conception » et de plus « à faire après la cessation du fléau une procession générale à Ceignac où on transportera solennellement la châsse de saint Amans ».
Le fléau, dès lors, cesse et la ville désertée retrouve peu à peu son activité.
La peste disparaît dès lors de nos contrées, ne subissant pas le dernier assaut de 1720 quand elle ravage la ville de Marseille provoquant la mort de 40000 personnes.

Encadré
Les symptômes de la peste à Sauveterre. 1628
« La dite maladie produisait d’horribles symptômes comme bosses, charbons, morbilles, fiebvres aiguës, phrénésies, syncopes, convulsions et autres funestes présages. Comme aussi des vers qui sont les signes indubitables d’une véhémente putréfaction ; un feu brûlant et chargeant toute la langue de siccité et de suye, avec l’altération invincible, le pouls tardif, toutefois le cœur en continuelle défaillance, le mal au reste tendant quasy toujours à la mort, bien plus que non pas vers la guérison. »
Témoignage de Pierre de Buysson. Chirurgien de Sauveterre. 1628

Encadré
Les croyances de la maladie à Sauveterre. 1628
« Le tout procédant de l’altération pernicieuse de l’air ou par la malignité de certaines planètes ou de l’influence des astres, parce que les années précédentes ne suivirent pas leur ordre naturel ny leur température, survenant tout à coup des changements tantost chaud, tanstot froid, mesme qu’il y eut une grande éclipse de lune.
Cette vapeur venimeuse, ennemie du cœur, rendit l’air si trouble et espais que le soleil en plein midi se voyait quasy suffoqué, bien que la plus commune opinion estait que la maladie arriva en ceste ville par le port des abits de Garrolou, mort de la peste à Tanus. »
Témoignage de Pierre de Buysson. Chirurgien de Sauveterre. 1628

En 1832 et 1854, le choléra, venu d’Orient, atteint l’Occident, provoquant l’affolement des populations

« La grande mort noire armée de sa faux »

C’est par cette formule que René de Chateaubriand décrit cette épidémie « qui est venue, en 1832, nous écraser aux rives de la Seine sous les roues de son char ».
Dans la première partie moitié du XIXe siècle, la France connaît un premier essor démographique dû au progrès dans l’alimentation et l’hygiène des populations. Le temps des grandes famines et des épidémies qui ravageaient des régions entières semble désormais appartenir à un autre âge. Pourtant, l’équilibre reste fragile. Il suffit d’une vague d’épidémie pour mettre en émoi les habitants et faire ressurgir les grandes craintes observées au temps des pestes.
1832. À la date du 26 mars, le choléra, jusque-là circonscrit à l’Asie, fait son apparition à Paris. Une maladie particulièrement contagieuse, redoutée pour son développement rapide, notamment dans les zones où règne l’insalubrité et propagée en Occident par le développement de l’Empire colonial et des moyens de transport. La capitale est touchée de plein fouet par cette pandémie devant laquelle les autorités restent démunies. En six mois, 18 402 Parisiens meurent du choléra dont certaines personnalités telles Casimir Perier, Champollion, les généraux Daumesnil et Lamarque. La rumeur populaire affirme alors qu’elle est l’œuvre d’empoisonneurs à la solde des riches, désireux d’éliminer les indigents de Paris.

Une seule victime en Aveyron
En Aveyron, le 9 avril, le préfet de Guizard prend les premières mesures en adressant aux sous-préfets ainsi qu’aux maires une lettre leur recommandant de prendre toutes les précautions propres à prévenir l’invasion du fléau. Il s’agit d’assainir les villes (une mesure difficile à mettre en pratique) ; d’instruire les populations du régime à suivre ; d’organiser le service médical ; d’établir des salles et des locaux pour recevoir les cholériques et de faire des approvisionnements de matériel et de médicaments.
À ces mesures diverses est adjoint une instruction populaire relative au choléra-morbus, éditée à 2000 exemplaires et distribuée par les curés des paroisses aveyronnaises.
On reconnaît les signes avant-coureurs de la maladie à une diminution, ou plus rarement, à une augmentation de l’appétit, précédant de 3, 4, 5, 6 jours les symptômes, accompagnés de frissons, plus rarement de nausées, de crampes, de maux de gorge et de diarrhées.
Vers le 20 avril, Rodez croit être infestée. Un assez grand nombre de cas de cholérine a été recensé. Aussitôt, la ville fait fabriquer 5000 litres de chlore pour désinfecter écoles, églises, bâtiments publics et plusieurs maisons d’indigents. De même, le pavement de plusieurs rues est remanié afin de permettre un meilleur écoulement des eaux. Enfin, pour faire bonne mesure, estimant que seul le Ciel pourra éviter à la maladie de franchir les montagnes rouergates, Mgr Girault prescrit une procession solennelle dans toutes les paroisses.
De ces diverses mesures, nul ne sait quelle fut la plus efficace si ce n’est que l’Aveyron sera protégé du choléra, à l’exception d’un cas mortel, enregistré à Saint-Affrique au mois d’août. Bien loin des 100 000 décès enregistrés en France durant cette période. Une ville qui allait être bien plus touchée par la seconde vague de choléra qui s’abat sur le pays à l’été 1854.
Saint-Affrique durement touchée !
Cette année-là, un régime de pluies continuelles et de températures froides, débuté au mois de mai, s’est poursuivi jusqu’à la fin juin, compromettant les récoltes. Ces mauvaises conditions climatiques perpétuent une année 1853 difficile, due à une disette de blé. L’émoi est grand. Par bonheur, un mois de juillet très ensoleillé permet d’éviter la famine. C’est alors que le choléra se déclare à Marseille. On y compte bientôt une centaine de victimes par jour. La maladie gagne ensuite la Provence, le Languedoc et les contreforts du sud du Massif Central. « Bientôt, raconte Fernand de Barrau, la nouvelle se répandit que l’Aveyron était envahi de plusieurs côtés ; l’alarme devint générale, provoquant une circulaire du préfet de l’Aveyron, Mouzard-Sencier : “ Il n’y a de vrai qu’une seule chose : c’est que le choléra a paru à Saint-Affrique et que, depuis le 19 juillet, l’épidémie a sévi violemment dans cette ville. Mais, comme si le mal n’était pas assez grand aux yeux de quelques personnes, on exagère les décès qui n’ont jamais atteint la proportion qu’on leur a prêtés. Ainsi, à l’exception de 3 ou 4 cas, la ville de Saint-Affrique est le seul lieu du département où le choléra existe en ce moment” ». Cependant, le préfet se garde bien de donner le chiffre exact des victimes ce qui laisse place à toutes les suppositions. Pour rassurer les esprits, le préfet se rend sur place avec le maire de Rodez, le docteur Adrien Rozier. De concert avec les autorités locales, plusieurs mesures sont décidées. Le cimetière, intra muros, est déplacé à une certaine distance, dans un champ. Pour soigner les victimes, un médecin aide-major et quatre sœurs de divers ordres sont acheminés sur le terrain. Mgr Croizier, alors en cure, revient précipitamment au milieu de ses ouailles afin de ramener l’espérance et la sécurité. Une messe est célébrée en sa présence à Saint-Affrique, au bout de l’aire du Pont-Neuf. Mais bon nombre d’habitants a déjà déserté la ville pour se réfugier à la campagne. De fait, des sanctions sont prononcées contre des fonctionnaires qui ont déserté la ville et aux aubergistes qui ont fermé leurs établissements.

Une bande d’empoisonneurs à Rodez ?
Au début du mois d’août, la rumeur prétend que le choléra règne à Cransac, Aubin et Decazeville. Fausse alerte ! Seuls, quelques décès sont enregistrés à Saint-Izaire et à Cruéjouls (4 victimes). À Rodez, le vendredi 25 août, en pleine décrue du choléra, un bruit se répand qu’une bande entière d’empoisonneurs a été arrêtée au moment où elle jette dans les fontaines, dans les ruisseaux et dans les rivières, des substances malfaisantes, capables de semer la contagion partout. La population parle d’assiéger le palais de justice quand on apprend qu’il s’agit en fait de neuf prévenus de Villefranche, devant comparaître devant les assises. Du coup, les mêmes se rejoignent en une procession vers Notre-Dame de Pitié pour demander à Dieu de mettre fin au fléau. Dès le 19 août, l’épidémie reflue à Saint-Affrique et le 23, les édiles considèrent que la crise est passée. Le maire Mazarin conseille dès lors à ses administrés de rentrer par petits groupes, d’aérer les maisons et les appartements abandonnés. Début septembre, la ville a retrouvé un aspect accoutumé et l’on peut même tenir la grande foire du 14.

Encadré
Remèdes contre le choléra
Outre les invocations divines, les hommes de la Science étaient bien démunis, au milieu du XIXe siècle, face à cette épidémie dont le vibrion est seulement identifié par Robert Koch, en 1883. Si quelques médecins anglais préconisent l’absorption de grandes quantités d’eau, ils sont peu écoutés. On leur préfère des mélanges de punch et de camomille ou des potions camphrées. Inutiles et même aggravantes, les sangsues et autres saignées. Que dire alors du fer à repasser chaud sur le dos des malades…

Le douloureux bilan de la guerre a longtemps effacé celui provoqué par le redoutable virus de la grippe espagnole qui frappe le département dès le début de 1918

La grippe espagnole. « L’œdème de guerre »

La grippe – du vieux français « grîpan » qui signifie « saisir » – fait aujourd’hui partie des maladies qui reviennent annuellement avec son pic de crise, son degré de complexité et de dangerosité et contre laquelle la médecine sait dorénavant lutter par un vaccin depuis 1937. En 1918, la situation est bien différente.

La rumeur et un double foyer de propagation
Dès le mois d’octobre, l’Aveyron, comme l’ensemble de l’Europe, est victime, après une première vague printanière moins virulente, d’une épidémie de grippe que les journaux, relayés par le grand public, dénomment la grippe espagnole, ce pays ayant été le premier à en révéler l’existence car non soumis aux contraintes du secret militaire en temps de guerre.
Les études et les découvertes récentes permettent aujourd’hui de connaître les foyers d’origine de l’infection de 1918, soit en Asie, soit dans le Middle West américain. Aux Etats-Unis, le virus serait apparu dans des camps de formation militaire du Kansas, contaminant de 50 à 70 000 soldats qui vont exporter la maladie en Europe. Le virus pourrait aussi avoir été véhiculé depuis l’Asie par les travailleurs ou soldats annamites venus en Europe. Deux constats bien éloignés des théories de l’époque. En effet, dès le début de son apparition, de nombreuses rumeurs et hypothèses circulent sur son origine, cet « œdème de la guerre » qui propage la haine envers les « Boches ». C’est ainsi que des agents allemands sont accusés d’avoir infesté des boîtes de conserve importées d’Espagne.

Fantaisies pharmaceutiques
Les symptômes de cette maladie, qui sont comparés à l’influenza bien connue depuis la fin du XIXe siècle, se traduisent sous diverses formes, soit pulmonaire (pneumonie, pleurésie…), soit nerveuse (délire), soit intestinale (diarrhées).
Longtemps, l’inflation du nombre de décès dus à l’épidémie trouve une explication dans les mauvaises conditions d’hygiène des tranchées et dans la faiblesse physique des soldats. En réalité, la grippe profite de l’absence de médicaments efficaces, des déplacements humains et du manque de praticiens partis pour un grand nombre sous les drapeaux. Désemparés, les médecins préconisent alors des saignées, qui ne font qu’empirer la maladie. L’huile camphrée, des solutions d’or et d’argent sont préconisées sans grand résultat. Des pseudo-médicaments apparaissent, sorte de remèdes miracles comme la Fluatine et le Rheastar : « Le puissant Rheastar guérit aussi bien la tuberculose que la grippe espagnole… Non toxique, bon pour l’estomac, bienfaiteur surtout des alvéoles pulmonaires, le Rheastar a vite fait d’atteindre le siège du mal, à cause de sa douceur, il est accueilli en ami par nos cellules… La grippe guérit en faisant place à la gaieté messagère de la santé… »

Une prophylaxie tardive
En Aveyron, la grippe espagnole est présente à l’état endémique dans le bassin houiller où 700 cas, non mortels, sont recensés dès le mois de mars 1918. Dès lors, le virus ne cesse de se propager dans l’ensemble du département, profitant des déplacements humains, du manque de médecins partis pour un grand nombre sous les drapeaux et de l’absence de prophylaxie même si certaines mesures, tardives, sont prises par les autorités : fermeture des écoles dès la mi-novembre 1918, qui ne se traduit pas toujours dans les faits, certains établissements restant ouverts malgré plusieurs cas recensés (Clairvaux, Villefranche-de-Rouergue) ; interdiction ou limitation des réunions et des cérémonies religieuses ; mise en place au mois d’octobre d’un service de désinfection chargé de se rendre sur les lieux où la maladie a frappé. La préfecture réclame également à l’autorité militaire de détacher des médecins et des pharmaciens, qui font cruellement défaut dans plusieurs communes (Sauveterre, Laissac, Laguiole, Asprières).

155 victimes sur le département
Sur les quatre arrondissements du département, celui de Saint-Affrique est particulièrement affecté par la maladie qui atteint surtout la classe d’âge des 16-25 ans. Au 31 octobre 1918, 1337 cas pour 69 décès sont dénombrés dans cet arrondissement, totalisant près de 40% des cas et des victimes du département à la même époque (3390 cas et 155 victimes).
Certaines maisons sont cruellement touchées par la grippe comme cette famille d’Estaing qui voit six de ses membres décédés à cause du virus. Et que dire des soldats qui se sont battus dans les tranchées durant plusieurs années et qui succombent à la grippe espagnole après leur démobilisation.
Au total, selon les chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé, la grippe espagnole a fait plus de victimes en Europe que les combats de la Grande Guerre, le nombre de décès étant estimés suivant les sources de 25 millions à 40 millions.

Diagnostic épidémique
Existe-t-il par siècle une grande épidémie qui viendrait nous rappeler combien nous sommes désemparés devant de tels fléaux ? La peste de Marseille en 1720, le choléra en 1832, la grippe espagnole en 1918 et le Covid 19 en 2020 marquent ce temps épidémique. Et, comme nous l’avons vu dans les trois articles, engendrent les mêmes peurs, les mêmes comportements et les mêmes suspicions. L’épidémie provoque le repli sur soi. Les villes se ferment au temps de la peste ; comme les frontières aujourd’hui. On recherche les causes et surtout les coupables. A Paris, les empoisonneurs à la solde de la Monarchie de Juillet sont montrés du doigt ; comme les Allemands durant la grippe espagnole. Pour le Covid19, les thèses complotistes inondent les réseaux sociaux. Avec un ultime constat, renouvelé à chaque époque : l’épidémie par sa rapidité à se répandre, pointe la difficulté des autorités à faire face. A en croire certains discours, la France n’aurait rien eu à craindre du Covid19. Comme elle n’avait rien à craindre au départ de la grippe espagnole, vouée essentiellement à l’armée allemande. Et le temps perdu avec l’épidémie ne se rattrape pas. Si nous pouvions enfin en tirer les leçons…

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