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Le sanatorium endormi. Passy. 15 au 16 avril 1970

Il n’existe plus rien. Ou presque du paquebot du Roc des Fiz. Des bouts de chaussée. Des embryons de béton et de pierres dévorées par la végétation. Partout, la nature a repris ses droits. Le sanatorium a été rasé et seule la mémoire humaine a voulu ici préserver le drame du sanatorium endormi en élevant un mémorial en 2019, près d’un demi-siècle plus tard, remplaçant une maigre stèle où l’erreur de date (17 mars) porte la marque d’une certaine indifférence.

Enfin ! Pourrait-on dire. Car pour les familles endeuillées, le parcours de deuil fut long. Semé d’embûches. Empêtrées dans la complexité des expertises. Jusqu’à ce non-lieu judiciaire qui absolvait architectes et direction, et faisait des 71 enfants et adultes, les « simples » victimes d’une catastrophe naturelle.

Il faut remonter bien des décennies, au sortir de la Grande Guerre, pour comprendre ce qui s’est passé ici. Ce qui n’est plus mais ce qui  a été. La tuberculose qui fait alors des ravages devient une cause de santé nationale. A l’origine, un député, André Honnorat, qui institue des sanatoriums dans chaque département. Du grand air. Plein sud. De l’altitude. Le plateau d’Assy, sur la commune de Passy (Haute-Savoie), voilà le lieu idéal ! Quand bien même, ce vaste plateau, entre 1000 et 1300 m, fut peuplé d’une vingtaine de fermes, elles ne peuvent rivaliser avec un complexe aussi grandiose : dix-sept bâtiments capables d’accueillir près de trois milles tuberculeux. Une manne économique providentielle. Avec l’accord de la mairie, les terrains sont rachetés. En quelques années, le plateau se couvre de colossaux bâtiments. Le Roc des Fiz fait partie d’un ensemble de trois autres sanatoriums avec ceux de Praz Coutant, de Guébrian et de Martel de Janville,  sous l’égide de l’Association philanthropique des villages-sanatoriums de Haute-Altitude. Débutés en 1929, les travaux sont achevés en 1932. Rien n’a été simple. Le sol est composé d’éboulis et de sources, le rendant instable. Peu importe ! Avec le béton, nouveau Dieu des matériaux de construction, tout devient possible ! Jusqu’à cette nuit du 15 au 16 avril 1970 !

Des signes avant-coureurs auraient dû alerter le directeur, Philippe Couve, un cousin du ministre en exercice Couve de Murville. Le 5 avril, un premier glissement de terrain avait déjà suscité l’inquiétude parmi le personnel. Des fentes étaient apparues sur les murs de l’aile gauche du bâtiment. Plusieurs employés avaient demandé au directeur de prendre des précautions et d’évacuer les enfants de cette partie du sanatorium. Pour les experts, venus inspecter le lieu, rien n’était alarmant. On en resta là ! Jusqu’au…

Cette nuit-là, quelques minutes après minuit, alors que tout s’est assoupi, une énorme coulée de boue balaie l’aile ouest du sanatorium, engloutissant les deux dortoirs des petits garçons et le pavillon des infirmières. Le béton n’a pas résisté, transformant « le village de la guérison » en tombeau. Enfants et adultes se retrouvent prisonniers sous quinze mètres d’agglomérat. 17 enfants et 4 adultes sont retirés le premier jour. Il faudra plus de cinq jours aux 350 sauveteurs pour retirer tous les corps. Le bilan est terrible : 56 enfants et 15 adultes. A la va-vite, une cérémonie religieuse est organisée le 18 avril alors que les recherches continuent. Le dernier corps extrait des décombres est retrouvé le 20 avril après de nouveaux glissements. Reste à identifier tous les corps. Une tâche ardue vue l’état des cadavres.

La catastrophe fait alors les gros titres de la presse régionale. Le Dauphiné Libéré titre : « 72 morts (dont 56 enfants) et 7 survivants. Le glissement de terrain avait écrasé le sana endormi. » Arrivé devant ce linceul de pierre de boue, l’envoyé spécial du journal raconte : « A deux heures du matin, alors que les premiers sauveteurs atteignaient la masse de l’avalanche, la première chose que j’ai vue, ce fut le pantalon rouge d’un bambin. A côté, il y avait une feuille de papier quadrillé qui portait ces mots : mon cher papa, ma chère maman, je vais bien. » Plus loin, il écrit : « Ce qui m’a frappé le plus dans les premières heures, c’est une impression de totale impuissance. La masse de l’avalanche s’étendait sur 300 m de longueur et 200 m de largeur, atteignait 15 m par endroits. En fait, un effroyable conglomérat de terre, de roches, de troncs d’arbres dont certains atteignaient 40 cm et de neige. Une neige profondément imprégnée d’eau qui, sous l’effet du gel nocturne, avait pris la consistance de la glace, voire du béton. Un béton contre lequel les sondes à avalanche et les pelles se révélèrent inefficaces. »

Aux pleurs et aux larmes jamais asséchées succéda la bataille judiciaire, conclue en cassation par un non-lieu. Point final ! Les responsabilités des uns et des autres étaient dissoutes dans l’état de catastrophe naturelle imprévisible. Bien des années passèrent avant la création, en 2008, du collectif du Roc des Fiz. A l’emplacement du sanatorium disparu dès 1970 du paysage, une modeste stèle est d’abord érigée avant l’élévation, en 2019, d’un mémorial où l’on peut lire : « Coulée de lave, coulée de larmes, 71 étoiles brillent dans le firmament et dans les mémoires sans jamais cesser de veiller sur nous. »

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