Le bouchon du siècle. 2 août 1975. Nationale 10
« Tu iras/Où tu voudras/Quand tu voudras… » Avec Joe Dassin, c’est « L’Eté indien » qui annonce les vacances. Le soleil. La plage et le farniente. Loin des tracas du travail et du bruit de la ville. Pour la majorité des Français auxquels viennent se greffer Belges, Hollandais et Allemands, une seule direction : le Sud. La Nationale 7 vers la Provence. La Nationale 10 vers Le Pays basque et l’Espagne.
Ce 2 août 1975, les usines viennent de fermer pour les congés. Quatre semaines de congés payés. Alors, pour une ou deux semaines, on met les clefs sous la porte et en voiture Simone ! Qui en 2 CV ! Qui en Diane, en 4L, en R6 ou en 504. Les routes françaises reflètent le niveau social des vacanciers. C’est que la voiture est devenue le symbole de la croissance. 15 millions de véhicules en 1975. Dix fois plus qu’en 1950. Et ce malgré le choc pétrolier de 1973, venu freiner les ardeurs à la pompe. Mais hors de question de sacrifier les vacances. Cette bulle d’insouciance dont les souvenirs se conservent précieusement dans l’album photo de l’année dernière. Alors on part en empruntant les deux sillons qui mènent au sud. En espérant que les bouchons légendaires de Châtellerault, de Ruffec ou de Barbezieux ne rallongeront pas le temps de voyage. Car la France de 1975 n’a pas encore pris la mesure de la croissance automobile et du développement des déplacements. Le réseau autoroutier est embryonnaire. Les rocades n’existent pas encore et les deux nationales empruntent les centres des villes et des villages, provoquant ralentissements et saturation. Heureusement, sur ces deux axes routiers, depuis longtemps s’est greffée une véritable économie de déplacement : stations-service, garages, épiceries ou boulangeries, dont le tiroir-caisse explose durant les deux mois d’été.
Alors, ce 2 août 1975, on part, le sourire aux lèvres, les valises remplies de serviettes de bain, de maillots et de tee-shirt. Sans oublier le chapeau ou le bob. Car ce jour-là, ça cogne sur la route des vacances. Une vraie canicule. On comptera 35° à Tours et 39° dans les Landes au plus fort de la journée.
Pour les habitués de la Nationale 10, ceux qui depuis des années accomplissent le même pèlerinage océanique, la patience est de rigueur. Car, au bout, les attendent la dolce vita, les pieds en éventail, la crème solaire et le pastis. Pourtant, cette année-là, rien ne se passe comme prévu. « 8 millions de voitures en vacances, titre Le Parisien. Le quart du parc automobile français. » En quelques heures, 40 000 véhicules déboulent sur la Nationale 10, provoquant un cumul de 450 kilomètres de bouchons. La gendarmerie est dépassée. Il n’existe pas encore de coordination inter-routière, pas plus que d’itinéraires-bis pour éviter la saturation. Pare-chocs contre pare-chocs, les voitures restent des heures collées au bitume sans avancer. Ou de quelques mètres seulement. Les plus prévoyants sortent les bouteilles d’eau et les sandwichs ; pique-niquent au bord de la route, à l’ombre des arbres quand il y en a. Les autres se protègent tant bien que mal de la chaleur. L’insolation guette les plus fragiles. Car aucun véhicule ne possède de clim. Les moteurs chauffent. Pour les plus malchanceux, ce sera le garage et peut-être la fin des vacances. Dans les villes et les villages traversés, les points d’alimentation sont pris d’assaut. Et puis, au fil des heures, la tension monte. On maudit ce soleil qui tape fort sur la carlingue. Les gendarmes qui font ce qu’ils peuvent mais ne peuvent rien contre cette marée de voitures. Et le gouvernement qui, bien sûr, n’a rien prévu. On se maudit aussi d’être partir trop tard. Ou trop tôt. Et puis, comme souvent, comme un fil qui se détend, les bouchons se disloquent. La voie redevient libre. Chacun reprend son rythme de croisière. L’océan n’est plus très loin. Demain ne restera qu’un mauvais souvenir. Dont on parlera encore dans dix ou vingt ans en regardant les album-photos. Pas pour tout le monde néanmoins. Car le bouchon du siècle accouche d’un terrible bilan : 145 victimes d’insolation ou d’accidents divers. Un triste record dont s’empare la presse et que le gouvernement reprend à son compte pour lancer une réflexion sur la politique de transport. Si la création d’autoroutes, de rocades, d’aires de repos se fera dans un temps plus long, dès l’année 1975 sont mis en place des itinéraires-bis qui permettront de délester les points noirs. Bison Futé naît de cette politique, laissant la girafe Ginette et l’oiseau Timothée sur le bord de la route. Et avec le petit Indien rusé, le Centre national d’information routière voit le jour.
Mais les bouchons ont la vie dure et ne sautent pas comme une bouteille de champagne. Certes, les bouchons légendaires de Millau, de Barbezieux ou de Ruffec ont disparu mais le 5 août 2017, n’a-t-on pas encore compté 857 kilomètres de bouchons cumulés sur l’ensemble du réseau français ?
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