Le souterrain maudit de Montérolier
Montérolier. 21 juin 1995
Le monde souterrain a de tout temps fasciné les hommes. Patrimoine naturel (gouffres, avens…), il a longtemps inspiré crainte et appréhension. A tel point que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’homme ne s’aventure guère à l’intérieur de ces antres de la mort, peuplés d’êtres maléfiques ou de dragons crachant du feu, transformés en décharges pour cadavres d’animaux avant d’être soumis à la curiosité scientifique des spéléologues.
Conçus comme abri troglodytique, aqueducs souterrains, souterrains-refuges, les souterrains artificiels servent d’abri protecteur pour les peuples préhistoriques, les religieux clandestins ou pour les habitants des châteaux-forts.
Dès lors, de légendes en tradition orale, ces lieux deviennent objets de mystères et de fantasmes pour ceux qui veulent les découvrir et les explorer. Telle est, à la base, l’histoire dramatique du souterrain de Montérolier, en Seine-Maritime.
Dès les premiers mois de l’Occupation, les Nazis saisissent l’importance stratégique des côtes françaises face à la résistance anglaise. Aussi organisent-ils leur défense depuis Dunkerque jusqu’aux côtes normandes en construisant des bunkers ainsi qu’une multitude de galeries pour réaliser le fameux mur de l’Atlantique.
Cette organisation militaire défensive n’exclut pas une portée plus offensive notamment quand les fameux V1 deviennent enfin opérationnels pour semer la terreur sur les villes de la fière Albion afin de la faire céder.
Des bases de lancement sont créées dès 1943-1944, alimentées par des centres de stockage camouflés dans des galeries artificielles. Près de quatre-vingt V1 doivent ainsi rejoindre le centre de Montérolier, près de Buchy (Seine-Maritime) afin d’alimenter quatre bases de lancement. Un projet de stockage qui ne verra jamais le jour avec la réussite du débarquement de Normandie. Mais les trois galeries parallèles de Montérolier, longues de deux cents mètres chacune et hautes de trois mètres, reliées entre elles par un véritable dédale de couloirs ont bien été réalisées et ont pu servir pour entreposer des munitions ou des gaz très toxiques.
Quand vient l’heure de la Libération, la grotte est investie, fouillée et nettoyée par les autorités militaires. Qu’a-t-on trouvé à l’intérieur ? Existe-t-il un danger potentiel ? Tout son éventuel contenu a-t-il été évacué ? Seul un rapport daté de 1948 indique la présence possible d’un dépôt de munitions. Ce qui ne semble pas avoir ému outre mesure les autorités qui laissent la grotte en libre accès aux habitants du voisinage, cette dernière, en 1995, ne faisant l’objet d’aucun recensement particulier qui pourrait la classer parmi les sites à risques. « Nous n’en connaissions même pas la configuration intérieure », rappellera au moment du drame, le préfet de l’époque, Jean-Paul Proust. D’où les difficultés éprouvées au moment des secours !
Que des gamins aient pu être en possession d’un plan rudimentaire de ces galeries, comme semble l’indiquer des témoignages rapportés par certains des camarades des victimes, ne peut donc que laisser perplexe. Car à Buchy et dans les environs, tout le monde connaît les galeries de Montérolier, arpentées de génération en génération depuis la fin de la guerre. Des histoires courent à son sujet, laissant planer le mystère et augmentant le désir de s’aventurer à l’intérieur. Curiosité mêlée de crainte quand on s’enfonce dans ces boyaux au cœur desquels la guerre semble resurgir, vision accentuée par l’imagination débordante de gamins qui ne se doutent pas un seul instant qu’un terrible danger peut les guetter.
Un état d’esprit dans lequel se trouvent, en ce 21 juin 1995, trois enfants du village de Buchy.
Thomas et Nicolas Havé, respectivement âgés de treize et quatorze ans, accompagnés de leur camarade, Pierre Lampérier, treize ans, décident, cet après-midi-là, de visiter les galeries de Montérolier. Une escapade banale pour ces adolescents qui va tourner au drame sans que l’on en sache la véritable cause sauf que les trois collégiens ont imprudemment allumé un feu à l’intérieur. Quoi qu’il en soit, la soirée est déjà bien écoulée et le dîner terminé quand le père des deux frères, Jean-Jacques Havé, étonné de l’absence tardive de ses deux garçons, décide de partir à leur recherche. En chemin, il apprend de la bouche de l’un de leurs camarades le but de leur périple. Aussitôt, il avertit José Lampérier, le père de Pierre. A tous les deux, ils se rendent à la grotte qu’ils connaissent bien pour l’avoir eux-mêmes explorée.
Tandis que Jean-Jacques Havé s’enfonce sans crainte dans le boyau, José Lampérier demeure par précaution à l’extérieur, au cas où ! « Car, avouera-t-il plus tard, quand je suis entré dans la grotte avec Jean-Jacques Havé pour aller chercher nos fils, il y avait une forte odeur qui se dégageait et cela ne pouvait pas être du monoxyde de carbone. » Bien lui en prend ! Car, ne voyant pas revenir son ami au bout de longues minutes, il décide qu’il est désormais urgent d’avertir pompiers et gendarmes, certain qu’il se passe des événements graves à l’intérieur.
Il est 22 heures quand un premier groupe de sauveteurs se présente devant l’entrée des galeries. Accompagnés de Gérard Duvivier, un habitant du lieu qui connaît parfaitement l’endroit, deux sapeurs-pompiers de Rouen, le médecin-capitaine Jean-Yves Soulard et Bruno Poulain s’infiltrent à leur tour dans la galerie. Ils ne reviendront pas. Une seconde équipe, les suit presque immédiatement, composée de Laurent Pannier, pompier professionnel, Fabrice Pigny et Dominique Petit, pompiers volontaires ainsi qu’un habitant du lieu, Gérard Duvivier, qui connaît bien les galeries. Aucun ne reviendra ou ne donnera signe de vie. Devant cette hécatombe, le préfet, qui a pris les choses en mains, décide dans la nuit de stopper les recherches en attendant du matériel pour ventiler les galeries.
Ce n’est qu’à l’aube que les pompiers retrouveront, à proximité de l’entrée, leurs collègues. Seul, Dominique Petit est secouru à temps avant d’être hospitalisé au service de réanimation de l’hôpital du Havre. Pour les cinq autres sauveteurs, il n’y a plus rien à faire. La mort a été foudroyante sur des hommes pourtant porteurs de masques et de bouteilles, qui n’ont pénétré que de quelques dizaines de mètres à l’intérieur avant de succomber sous l’effet du ou des gaz. « Les premiers sauveteurs sont décédés presque instantanément, à cause de l’oxyde de carbone, mais aussi peut-être d’autres gaz non identifiés », révèlera le directeur de cabinet du préfet, au lendemain du drame. Et ce n’est que vers 15 heures alors que parents et amis des disparus attendent avec l’anxiété que l’on devine, les résultats des recherches, que l’affreuse nouvelle tombe. « Ils étaient dans les galeries les plus éloignées de l’entrée principale, indiquera le préfet. Le corps du père gisait non loin de ceux de ses enfants. »
Le deuil accompli laisse place à une double polémique concernant l’intervention des secours et la thèse officielle fournie à l’issue du drame par les autorités.
« Mes hommes sont entrés pour porter secours aux disparus et se sont fait piéger, affirmera le lieutenant-colonel Ménage. Il y avait une concentration d’oxyde de carbone quatre fois supérieure à la dose mortelle, que rien ne laissait supposer. » Une enquête judiciaire est ouverte qui débouche en mai 1997 sur un non-lieu, la justice reprenant à son compte les résultats selon lesquels le monoxyde de carbone, résultant d’un feu allumé par les trois adolescents, est la seule cause des neuf décès. Ce qui est loin de satisfaire les familles des victimes et les pompiers qui mettent en avant le rôle des galeries durant la Seconde Guerre mondiale, la présence possible de gaz hautement toxiques et la mort foudroyante qui a frappé les victimes dont certaines étaient équipées de masques et de bouteilles. Ce qui fera dire, cinq ans après le drame, à la mère de Nicolas et Thomas, que « le plus dur, c’est de ne pas comprendre. Je ne sais toujours pas comment mes fils Thomas et Nicolas et mon mari Jean-Jacques sont morts… Je veux connaître la vérité qu’on nous cache. » Deux ans plus tard, en mai et octobre 2002, le tribunal administratif condamnera la commune de Montérolier à verser aux familles des victimes 113 500 euros de dommages et intérêts avant de condamner, cinq mois plus tard, le SDIS de Seine-Maritime pour insuffisance dans l’organisation des secours, la commune ayant engagé un recours en garantie contre ce service.
Alors, que s’est-il vraiment passé ce soir du 21 juin 1995 ? Comme dans de nombreuses affaires de ce genre, l’explosion d’AZF à Toulouse en est encore la preuve, des zones d’ombre demeurent, l’Etat se réfugiant derrière la thèse officielle des experts tandis que les familles des victimes tentent de percer ce qu’elles estiment être un « secret-défense », l’histoire de cette galerie plaidant en leur faveur. Le feu allumé par les enfants a-t-il déclenché dans les galeries, sous l’emprise de la chaleur, l’émanation de gaz toxiques enfouis là depuis la guerre ? Quoi qu’il en soit, la grotte de Montérolier, désormais fermée, restera à jamais pour toute une région un lieu maudit avant que ne soit dévoilé, un jour peut-être, le mystère qui l’entoure.
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