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Les poujadistes occupent Espalion et Rodez. 25 septembre 1955

Nous sommes le 25 septembre 1955. Ce jour-là, doit se tenir à Espalion l’assemblée départementale des maires. Une réunion annuelle qui permet de faire le point sur de nombreux dossiers. Pour l’occasion, le ministre de l’Intérieur Bourgès-Maunoury a accepté l’invitation de se rendre à Espalion. Cette venue n’est pas passée inaperçue dans les rangs des militants de l’UDCA (Union de Défense des Commerçants et Artisans), dit aussi mouvement poujadiste, du nom de son leader, Jacques Poujade. Dès lors que cette visite ministérielle est confirmée, les militants décidèrent de se rendre à Espalion pour se faire entendre du ministre. « Ils placèrent, ou firent placer, dans la nuit, des affiches et inscrivirent des “ Vive Poujade ” sur les routes », écrit Le Rouergue Républicain. Déjà, une semaine plus tôt, à Millau, le dirigeant local Zanarelli avait pris à partie les trois députés RI, Temple, Boscary-Monsservin et Laurens.

Au moment où débute le congrès, en présence de 150 maires, plusieurs boutiques ont baissé leur rideau et portent des affiches : « Moins de discours, moins de banquets, du balai ». Dans la foule qui s’étale de la salle du congrès au monument aux morts, lieu de rendez-vous des personnalités en fin de matinée, se sont glissés des membres de l’UDCA, venus de Millau, de Capdenac et de Saint-Affrique soutenir les commerçants locaux. Au grand dam des autorités qui ont tenté en vain de filtrer les routes et de sonder les identités. Aussi, pour prévenir tout débordement, ont-elles mis en place un peloton de CRS et six pelotons de Gardes Républicains. Un déploiement de force auquel n’étaient guère habitués les habitants de la cité lotoise.

Après les interventions à la tribune et le discours ministériel, «les poujadistes les plus actifs, écrit le correspondant du Rouergue Républicain, se trouvaient groupés le long de l’hôtel de France et lorsqu’ils virent déboucher, sur la place, le Ministre et les Parlementaires, ils les accueillirent par des cris de « “démission”, par des pièces de monnaie lancées dans sa direction et jusqu’à ses pieds. Un haut-parleur prononça même une allocution qui était tout le contraire d’une allocution de bienvenue ».

A l’issue de la cérémonie, des coups de sifflet, des cris et quelques invectives éclatèrent encore. Sur ordre du préfet, les gendarmes procédèrent à quelques arrestations dont celle du dirigeant poujadiste local, briquetier à Espalion, M. Emile Fanguin. Les manifestants, concentrés devant l’hôtel Roucous, furent dispersés à leur tour. D’autres arrestations s’ensuivirent qui provoquèrent la colère des militants. 4 ou 5 d’entre eux furent vite relâchés à l’exception de M. Bosset, de Capdenac et du dirigeant millavois de l’UDCA, M. Zanarelli, gardés à vue.

Dans la soirée, les deux hommes furent transférés à Rodez tandis que quelques incidents éclataient ici et là à Espalion. Le préfet, sans doute vertement tancé par son ministre de n’avoir pas su prévenir ces incidents, ordonna la fermeture de l’hôtel de France pour trois mois et la mise en place d’un cordon policier devant la porte. Cette mesure provoqua l’ire des petits groupes de manifestants qui s’en prirent ouvertement au député-maire d’Espalion, le docteur Solinhac, égaré dans sa voiture et obligé de parlementer.

Avec l’arrestation puis le transfert des deux manifestants, la réaction des dirigeants de l’UDCA ne se fit pas attendre. Ordre fut donné à ses membres de se réunir, le lundi à Rodez, pour demander leur libération.

Le lendemain matin, plusieurs centaines de manifestants investirent le foirail tandis que de nombreux magasins fermaient en signe de protestation. Quatre orateurs prirent la parole dont MM. Rozières et David. A 11 heures, ce dernier demanda à ses troupes de se rassembler à nouveau au foirail, à 15 heures.

A Saint-Affrique, quelques magasins restés ouverts furent envahis par des membres de l’UDCA alors qu’à Villefranche, le mouvement était peu suivi.

A l’heure précise, ce furent plusieurs milliers de manifestants, venus de tout le département mais aussi du Tarn, de l’Hérault et des départements limitrophes qui se retrouvèrent devant l’estrade.

A 16 heures 15, les pouvoirs publics annoncèrent qu’ils relâcheraient M. Bosset dans la soirée et M. Zanarelli le lendemain si les manifestants se dispersaient dans le calme. Les délégués cantonaux, réunis au café du Stade, refusèrent la proposition et lancèrent un ultimatum. « Les manifestants attendront jusqu’à 18 heures. Si, à cette heure-là, leurs deux camarades n’étaient pas remis en liberté provisoire, les délégués présents alerteront les délégués de tous les départements limitrophes afin que leurs adhérents convergent le plus rapidement vers le chef-lieu aveyronnais. »

Il s’ensuivit une marche vers le monument aux morts où, après une minute de silence, fut entonnée la Marseillaise.

A 18 heures 15, les pouvoirs publics refusèrent la proposition de l’UDCA de libérer les deux membres emprisonnés. « Cette décision, affirma David, nous prouve que l’affaire échappe au plan local et relève du plan national. » Appel fut donc lancé aux militants de rester en place à Rodez, quitte à bivouaquer et aux adhérents de toute la région de converger vers le chef-lieu par une grande manifestation prévue à 10 heures le lendemain. Cette mesure s’accompagnait d’une grève générale illimitée des commerçants et artisans du département à l’exception de la distribution de pain et de lait, assurée jusqu’à 10 heures du matin.

Le mardi 27 septembre, l’effervescence gagna la cité ruthénoise dès le petit matin, que ce soit parmi les dirigeants et les adhérents de l’UDCA dont les effectifs ne cessaient de grandir que parmi les forces de l’ordre, venues en renfort dans la nuit.

En début d’après-midi, la manifestation s’ébranla alors que la rumeur montait que les deux prisonniers avaient été transférés sur Marseille. Devant 10 000 personnes, les orateurs développèrent des consignes strictes à tenir : garder le calme le plus complet ; éviter tout accrochage avec les forces du maintien de l’ordre ; se rendre en cortège au monument aux morts et attendre le retour d’une délégation qui se rendra à la préfecture. Par deux fois dans l’après-midi, le préfet refusa de recevoir la délégation, accentuant le courroux des manifestants. Une certaine tension régna toute l’après-midi dans les rues convergeant vers la préfecture et complètement bouclées par un imposant service d’ordre.

A 18 heures, les délégués cantonaux reçurent des infos de Paris, indiquant que deux manœuvres étaient actuellement étudiées par les autorités contre l’UDCA : arrestation de Poujade et condamnation du mouvement comme ligue factieuse.

Aussi, pour ne pas répondre aux provocations et devant la promesse de libération rapide des deux prisonniers, les dirigeants demandèrent à tous les manifestants de se disperser dans le plus grand calme. Demi-heure plus tard, fidèles aux consignes, les militants avaient déserté Rodez qui retrouvait son calme non sans avoir fait tenir à Paris une réunion interministérielle de crise.

 Pierre Poujade est né à Aurillac en 1920. Son nom est bien sûr associé au poujadisme, mouvement syndicaliste puis politique qui prend le nom, en 1953, d’Union de défense des commerçants et artisans avant de se lancer dans la bataille politique en présentant des candidats aux élections législatives de 1956 sous la bannière de l’Union et Fraternité Française. 52 députés sont élus dont Jean-Marie Le Pen. L’UDCA compte à cette date 420 000 adhérents dont une majorité exprime le mécontentement d’une corporation qui se sent incomprise et accablée par les contrôles fiscaux. L’UDCA se signale surtout par sa capacité à mobiliser ses troupes à l’occasion de manifestations souvent violentes, comme à Espalion, le 25 septembre 1955, où le ministre de l’Intérieur Bourgès-Maunoury est molesté. Mais les dissensions au sein de l’UDCA sur la question de l’indépendance syndicaliste vis-à-vis de l’action politique de l’UFF et les querelles de personnes, provoquent une rapide érosion des adhérents de ce mouvement, né d’une explosion de mécontentement sans lendemain. Dès 1958, l’UFF se désagrège face aux événements de mai 1958. Poujade tentera bien de jouer la carte de l’Algérie française. En vain. L’homme disparaît progressivement du paysage politique. Installé à Labastide-L’Evêque, il se fait le chantre, dans les années 70-80, du pétrole vert à base d’essence de topinambours. Président de l’association nationale pour l’utilisation des ressources énergétiques françaises et de la Fédération Nationale des Syndicats de producteurs de topinambours, il n’a de cesse d’en appeler les pouvoirs publics à développer de nouvelles sources énergétiques. Si des fonds ont été débloqués pour lui permettre de continuer ses travaux sur cet agro-carburant, la voix de Pierre Poujade n’est plus guère entendue des autorités, lui qui fit trembler les derniers gouvernements de la Quatrième république.  Il décède à La Bastide-l’Evêque en 2003.

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