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Mystifications à Rennes-le-Château

En 2012 paraît « Le Secret dévoilé » sur les mystères qui, depuis le début du XXe siècle, enflamment le petit village de Rennes-le-Château. Un titre qui dût titiller l’esprit de bien des lecteurs qui, un jour ou l’autre, se sont passionnés à des degrés divers pour l’histoire de ce coin perché de l’Aude, devenu en quelques décennies le centre de toutes les croyances ésotériques. Son auteur, Christian Doumergue, qui n’en est pas à son premier coup d’essai, détricote dans un premier temps le mythe de l’abbé Saunière avant de tomber dans un délire où se mélangent sociétés secrètes, légende de l’Atlantide et extraterrestres de tous bords pour, au final, accéder à la « race fabuleuse » qui serait à l’origine de l’humanité ! Rien que cela !

Encore une fois, « Le Secret dévoilé » n’était qu’un leurre… un effet de vente. Une tradition bien ancrée dans la littérature rhédaenne, chaque livre édité se croyant détenteur de la vérité. Tout commence, à vrai dire, par la parution, entre le 12 et le 14 janvier 1956, d’articles dans La Dépêche, signés Albert Salomon, qui tient son récit de Noël Corbu, le légataire universel de Marie Dénarnaud, celle-là même qui avait servi Bérenger Saunière et détenait, selon ses dires, le secret de Rennes-le-Château. Il n’en faudra pas plus à partir du titre évocateur, « La fabuleuse découverte du curé aux milliards de Rennes-le-Château » pour déclencher une véritable frénésie littéraire.

Sans aucun doute, le livre de Gérard de Sède, « L’Or de Rennes ou la vie insolite de Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-Château », paru en 1967 et largement réédité par la suite, reste le best-seller sur ce sujet, le Da Vinci Code s’en inspirant largement. Un auteur au parcours sinueux, qui avait fréquenté les surréalistes durant la Seconde guerre mondiale, pratiquer divers métiers avant de devenir journaliste. Une première rencontre, avec Henry Lhomoy qui prétend avoir découvert le trésor des Templiers dans les souterrains du château de Gisors, l’incite à se lancer dans l’écriture ésotérique, traduisant une étude historique sous la forme d’un récit onirique. (« Les Templiers sont parmi nous ou L’Enigme de Gisors »).

Pour écrire « L’or de Rennes-le-Château », Gérard de Sède utilise une série de tapuscrits déposés à la Bibliothèque nationale par un certain Pierre Plantard, donnant à son ouvrage un style littéraire et obtenant de surcroît une légitimité historique.

Pierre Plantard devient alors l’énigme dans le mystère. Celui qui plante le décor de Rennes-le-Château pour en faire le lieu symbolique du combat contre le matérialisme par les forces spirituelles chargées de rétablir la grandeur de l’âme et de sa survivance post mortem. Comme l’abbé Saunière, Plantard s’habille du costume du messager, communiquant son idéologie à travers les revues Vaincre (au fort accent pétainiste) et Circuit (où il se fait le chantre de l’existence des Atlantes) avant de créer de toutes pièces le mythe de Rennes-le-Château. La recette est simple et digne d’un roman de science-fiction : relier la disparition de la civilisation des Atlantes au secret de l’abbé Saunière, par le fil ténu de l’existence d’une descendance issue d’une relation entre Jésus et Marie-Madeleine, une société secrète, le Prieuré de Sion, étant chargée d’en assurer la protection. Problème : le Prieuré n’est que l’œuvre inventée, sortie tout droit de l’imaginaire de Pierre Plantard. Pour lui, Saunière aurait découvert l’existence d’un document attestant de cette descendance. Il fallait y penser. De nombreux auteurs, plus ou moins bien intentionnés, s’y fourvoieront par la suite, faisant de Pierre Plantard, disparu en 2000, l’initiateur d’une révélation alors qu’il ne fut jamais qu’un grand illusionniste.

Gérard de Sède, après s’être fâché avec Plantard sur la question des droits d’auteur, reviendra sur ses écrits en 1988 en publiant « Rennes-le-Château : le dossier, les impostures, les phantasmes, les hypothèses » avant de décéder en 2004.

Un troisième homme joue un rôle dans cette mystification : Philippe de Chérisey. Cet acteur de second rôle fréquente lui-aussi les surréalistes et devient l’ami de Pierre Plantard pour lequel il fabrique de faux-documents historiques mettant en lumière le Prieuré de Sion. C’est à son initiative également qu’il produira deux faux parchemins dits de l’abbé Saunière que Gérard de Sède reproduira dans son ouvrage.

De cette incontinence ésotérique et mystificatrice, Rennes-le-Château vit entre fantasmes et certitudes, le mythe dépassant trop souvent la réalité. Qui plus est quand on sait que le village se situe au cœur d’une région riche d’histoires et de mystères en tout genre. N’est-elle pas d’ailleurs l’antique Rhédae, dernière capitale des Wisigoths soupçonnés d’avoir enterré là leur trésor ? S’y ajoutent le nid d’aigle de Quéribus où vinrent se réfugier les derniers cathares et leur hypothétique trésor, sans oublier Biugarach, lieu de tous les fantasmes ufologistes. Un véritable triangle des Bermudes à la sauce ésotérico-touristique qui draine vers Rennes-le-Château, sous la chaleur écrasante des mois d’été, une foule bigarrée d’adeptes des Atlantes, des cathares, des templiers, du Prieuré de Sion, des petits hommes verts et des professionnels de la poêle à frire, familles lambda et « tamalous » bon vivants, les plus nombreux sans doute, venus là se recueillir avec foi, curiosité et un brin d’amusement sur les vestiges d’un secret détenu par un abbé sulfureux, Bérenger Saunière. Au nez et à la barbe du diable qui accueille tout ce petit monde à l’entrée de l’église dédiée à Marie-Madeleine, bien sûr !

Sans son curé aux milliards, Rennes-le-Château serait resté ce petit village endormi de quelques deux cents âmes, oublié des axes de communication. Quand il en reçoit la cure, en janvier 1885, François Bérenger Saunière est âgé de 33 ans. Pas vraiment une promotion pour l’abbé dont les idées légitimistes s’opposent à la fibre républicaine et à l’anticléricalisme des habitants. Qui plus est quand il découvre une église et un presbytère en ruine. En terre de mission, Saunière qui ne manque pas de tempérament, décide de relever le défi et de redonner à sa paroisse la vitalité chrétienne exigée par sa foi. Quitte à faire frémir les moustaches des plus fervents républicains. C’est que le curé possède des relations. En premier lieu, l’évêque de Carcassonne, Mgr Arsène Billard, qui ferme les yeux sur les plaintes qui s’accumulent au fil du temps vis-à-vis de ce pasteur bien encombrant, mais également les royalistes qui n’ont pas encore abdiqué toute ambition de voir rétablir la monarchie malgré le décès du comte de Chambord. Dès lors, Rennes-le-Château devient le centre névralgique d’une nouvelle croisade chrétienne dont Saunière est le maître d’œuvre. Ainsi s’expliquent les aides financières qui affluent bientôt vers Rennes-le-Château de la part de la comtesse de Chambord, descendante des Habsbourg, de Mme Cavailhé de Cousan et de la grande cantatrice de l’époque, Emma Calvé, férue elle-aussi d’occultisme comme l’abbé.

En débutant les travaux de restauration de son église, Bérenger Saunière a rendez-vous avec l’Histoire. La découverte inattendue de ce qui restera sans doute à jamais un mystère l’oblige d’abord, dans un premier temps, à renvoyer les ouvriers du chantier afin de continuer seul, caché par des palissades, à creuser le sol de l’église. Un abbé armé d’un pic et d’une pioche qui met sans dessus dessous le sol de son sanctuaire, voilà un bien beau sujet de conversation pour les Romains qui ne sont pas au bout de leur surprise quand l’un d’entre eux surprend Saunière et Marie Dénarnaud affairés en pleine nuit à déplacer des tombes dans le cimetière. Une borne à ne pas dépasser qui déclenche l’ire du maire. Sommé de s’expliquer, le curé laisse planer le mystère sur sa découverte, ses voyages à Paris et surtout la frénésie de dépenses et de constructions qui, dès 1901, agite le landerneau rennain. Une folie des grandeurs qui voit successivement s’élever la villa Béthanie, la tour Magdala et le jardin exotique qui les cerne. De nombreuses personnalités défilent à Rennes-le-Château. Le curé mène grand train, ses dépenses de construction s’élevant à la somme colossale de 675 600 francs or.

A l’évêché même, qui vient de changer de propriétaire, on s’émeut d’une telle situation. Convoqué, Saunière explique cette soudaine fortune par différents legs dont il ne peut avouer la provenance. Une explication bien insuffisante aux yeux de Mgr de Beauséjour qui, après l’avoir vertement tancé, l’expédie dans la paroisse de Coustouge.

Face au refus de l’abbé d’être muté, l’affaire remonte jusqu’au Vatican qui finit par le suspendre a divinis, pour détournement et dilapidation de fonds. Saunière ne se résout pas et tente de faire appel. En vain ! Le 11 avril 1915, il se voit interdire d’exercer. Menacé d’expulsion, l’abbé se terre dans sa villa, se consacrant à sa collection de timbres. Sentant sa fin prochaine, il met de l’ordre dans ses affaires, ordonnant à sa fidèle servante de brûler bon nombre de papiers. C’est elle qui, à la mort du curé, le 22 janvier 1917, à l’âge de 65 ans, devient sa seule légataire. La gouvernante ne dévoilera jamais le secret de la fortune subite de l’abbé, laissant grande ouverte la porte à toutes les interprétations, distillant avec parcimonie quelques informations sur le trésor supposé. « Avec ce que le curé avait laissé, affirme-t-elle un jour à une amie, il y avait de quoi nourrir le village pendant cent ans, et il en resterait encore. » Marie Dénarnaud décède le 29 janvier 1953. Noël Corbu, le nouveau propriétaire du domaine, auquel elle avait promis de dévoiler le mystère, en sera pour ses frais !

Dès lors, « entre les fantasmes les plus délirants et les certitudes historiques » comme l’écrit Jean Markale, Rennes-le-Château nagera dans les eaux troubles de l’ésotérisme, savamment orchestrées et entretenues par toute une cohorte d’écrivains qui en feront leur « gagne-délire ».

Que l’abbé Saunière ait profité de la manne financière des partisans d’un retour à la monarchie est une certitude. Qu’il ait effectué une découverte archéologique de premier ordre dans son église reste du domaine du possible. Qu’il en ait négocié en secret la vente pour assouvir une soudaine mégalomanie de constructions l’est tout autant. Cette hypothèse expliquerait à la fois sa politique de grands travaux et les déclarations au compte-gouttes de sa gouvernante sur la soudaine fortune du curé de Rennes-le-Château. Comme on le voit, on est là bien loin d’un trésor qui n’existe que dans les esprits imaginatifs et mystificateurs qui s’empareront de l’histoire du « curé aux milliards ». Ainsi, pêle-mêle, évoque-t-on le trésor des cathares ; celui des templiers, enterré dans l’Aude après la mort du grand maître de l’ordre, Jacques de Molay, et qui pourrait être le fameux Graal ; le trésor de Jérusalem – qui aurait contenu l’arche d’Alliance et le chancelier à sept branches – emporté par les Romains puis volé par les Wisigoths en 410 avant d’être enterré à Rennes-le-Château ; et que dire de l’acte de mariage de Jésus avec Marie-Madeleine, document sulfureux que l’Eglise aurait tenté de récupérer en le rachetant à l’abbé ; sans parler de la tombe du Christ ramené en ce lieu par Marie-Madeleine et que Saunière aurait mise au jour.

Si mystère il existe à Rennes-le-Château, il faut plutôt chercher dans la volonté délibérée de jouer avec les contradictions et les énigmes, en posant les indices factices d’un trésor qui n’aurait jamais existé. Une extraordinaire mystification réalisée par l’intrigant Pierre Plantard qui, comme l’écrit Christian Doumergue, « fit passer Rennes-le-Château de simple fait divers local au rang d’histoire que l’on connaissait à travers la planète. » Un détournement qui alimentera désormais le mythe de Rennes-le-Château, falsifiant ce qui n’était, au départ, qu’une simple histoire. Celle d’un curé s’entourant d’un climat de mystères à travers ses fouilles, laissant divaguer l’imagination de ses paroissiens sur la découverte d’un trésor archéologique dont il emporta le secret dans sa tombe.

Mystification et imagination qui ne résistent pas à une analyse historique rigoureuse basée non plus sur des rumeurs et des hypothèses, mais sur l’étude des documents qui nous sont parvenus. Afin de faire revenir l’affaire du « curé aux milliards » du mythe à la réalité et de renvoyer les mystificateurs à leurs rêves et à leurs fantasmes.

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