Napoléon III fait de l’esprit avec Daniel Dunglas Home
Un bien étrange phénomène que ce jeune garçon, lequel dès qu’il pénètre dans une pièce voit une force mystérieuse s’emparer des objets qui se déplacent à leur guise par sa seule présence. De quoi irriter des parents qui ne s’attendaient pas à pareille progéniture, sans savoir à quel saint se vouer pour faire revenir à la raison ce gamin qui semble avoir le diable au corps.
Nous sommes à la fin des années 1830, près d’Edimbourg, en Ecosse, au pays des fantômes et des châteaux hantés. Le jeune Daniel Home ne connaît pas encore la gloire mais il déchaîne déjà tout ce qui l’entoure : chaises, ustensiles de cuisine, livres et bien d’autres objets qui se mettent à danser la sarabande dès qu’il apparaît. Le gamin a pourtant de qui tenir. Sa mère, depuis longtemps, est soumise à des visions. Elle aurait même, dit-on, vu sa progéniture, alors qu’elle est enceinte, manger plus tard à table avec « un empereur, une impératrice, un roi et une duchesse ».
En attendant la réalisation de cette prédiction, elle confie son moutard un peu spécial à sa sœur, à charge pour elle de l’éduquer dans la Foi et la raison. En 1843, Daniel est âgé de dix ans. Avec son oncle et sa tante, il traverse l’Atlantique pour émigrer aux Etats-Unis, à Norwich, dans le Connecticut. Aux jeux des autres enfants, Home préfère les balades solitaires en forêt, parfois accompagné par son camarade Edwin. Une grande amitié lie les deux adolescents au point qu’un jour, « ils se promettent par serment, et en écrivant ce serment avec leur sang comme l’exige la coutume, que le premier des deux qui mourrait viendrait dire adieu à l’autre ». Serment tenu un an plus tard quand Home, dont la famille vit désormais dans l’état de New-York, « voit une grande lumière, qui est sans doute celle de la lune, pénétrait dans sa chambre comme un rayon diagonal ». Une forme humaine lui apparaît soudain qui, dit-il, « a la ressemblance du visage d’Edwin ». Un visage terriblement pâle qui le fixe.
– Me reconnais-tu ? lui fait la forme. J’acquitte la promesse que nous nous sommes faits. Au-revoir là-haut ! »
La vision finit par s’évaporer, laissant le jeune Home interloqué.
Trois jours se passent quand Daniel apprend la mort brutale de son ami, suite à une dysenterie.
Ces visions et ces objets qui se déplacent sans raison ne rassurent guère une tante, fort dévote de surcroît, qui estime que son neveu est possédé et qu’il est temps de chasser le Diable qui s’est introduit dans son corps. Trois prêtres exorcistes sont appelés à la rescousse au cas où. En vain ! Leurs interventions ne font qu’accroître la colère des Esprits qui déplacent en tout sens le mobilier de la maison tandis qu’Home révèle à l’un d’entre eux les décès de sa mère et de sa sœur intervenus quelques mois plus tôt. « Le prêtre, révèle le journal “Monte Christo” en eut assez, il se retira, emmenant ses deux confrères en déclarant qu’il ne pouvait rien contre des drôles de cette espèce. »
A la même époque, les Etats-Unis se passionnent pour les soeurs Fox dont la maison est la proie de manifestations paranormales. Convaincus et sceptiques s’affrontent, provoquant l’éternelle controverse avant que l’une d’entre elles, Margaret, avoue la supercherie. C’est dans ce climat que Daniel Home grandit, acquérant au contact de sa tante une foi très profonde. S’élève alors en lui ce sentiment d’être « investi d’une mission pour démontrer l’immortalité de l’âme ». Ainsi expliquera-t-il, tout au long de sa vie, ce contact avec l’esprit des morts.
Désormais adulte, Home est devenu un grand garçon, mince et de santé fragile, aux yeux bleus perçants et à l’épaisse chevelure auburn. Sa réputation de médium ne cesse de grandir. Il reçoit chez lui ou multiplie les séances de contact avec les Esprits, s‘attirant la curiosité des journalistes et des scientifiques, impatients d’assister aux séances de lévitation qui voient Home s’élever jusqu’à toucher le plafond de la pièce. Les uns et les autres tentent de détecter une supercherie. Tout au long de sa vie, Daniel Home devra prouver qu’il n’utilise aucune tromperie, lui-même n’hésitant pas à dénoncer les tours employés par des charlatans. Malgré tout, la Science en général reste profondément divisée à son égard. Certains, comme le chimiste William Crookes ou l’écrivain Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, avouent être convaincus par Home tandis que d’autres crient à la fraude et à la prestidigitation, dénonçant le manque de lumière durant les séances ou l’utilisation de produits comme l’huile de phosphore.
En attendant, le jeune homme dont le succès ne se dément pas, s’installe à New-York puis à Newburgh, chassé du foyer par sa tante, pour y suivre des études de médecine. Il est âgé de vingt-et-un ans quand la tuberculose l’atteint, l’obligeant au repos puis à faire ses valises pour la vieille Europe, sur les conseils de son médecin.
Sa réputation a traversé l’Atlantique. Sa santé s’étant améliorée, il reprend ses séances, encouragé par quelques amis convaincus de son don et qui l’introduisent dans la société londonienne curieuse de découvrir ce personnage qui entre en lévitation : « Tous, écrit Franck Podmore, nous l’avons vu s’élever lentement au-dessus du sol jusqu’à une hauteur de six pouces, s’y tenir pendant une dizaine de secondes puis redescendre lentement. »
Plus tard, lors d’une séance mémorable, lord Adare qui est fasciné par Home raconte :
« Il est encore entré [par la fenêtre], pieds devant et nous nous sommes retrouvés dans l’autre pièce. Il faisait si noir que je ne pouvais voir comment il était soutenu… »
Désormais, l’Europe des princes, des rois et des empereurs le réclame pour s’initier au spiritisme et assister à ses séances, ainsi que sa mère l’avait prédit avant sa naissance. Même le pape Pie IX l’invite au Vatican. Mais étrangement, devant le Saint-Père, Home perd tous ses pouvoirs.
Le 10 février 1857, Daniel Dunglas Home se rend à Paris, auprès de l’empereur Napoléon III et de l’impératrice Eugénie, qui n’en sont pas à leur première séance d’initiation. Home s’est un peu fait prier au départ, arguant que « ses esprits l’ont provisoirement quitté. Quand ils reviendront, affirme-t-il, je me rendrais avec eux aux Tuileries. »
L’Empereur et son entourage ne seront pas déçus. « D’énormes meubles que six hommes ne soulevaient qu’avec peine pour ôter le tapis au printemps, commencent à s’agiter, rapporte un témoin. Des chaises, des fauteuils, comme emportés par un vent furieux, allaient d’un coin de la salle à l’autre. Les cristaux des lustres carillonnaient. De tous côtés, on entendait frapper. Bref, c’était le véritable sabbat des sorcières. »
De quoi glacer d’effroi une assemblée qui n’est pas encore à l’abri de ses surprises quand un piano se met à jouer seul et que des mains apparaissent aux quatre coins de la pièce, froides au toucher, terrorisant le public avant qu’Home exige des esprits de cesser leur manège.
Pauline de Metternich, dans ses « Souvenirs d’enfance », raconte une autre séance menée quelques jours plus tard par Dunglas Home chez les Jauvin d’Attainville, 23, rue de la Paix, à Paris :
« L’appartement, écrit-elle, était très vaste, commode, richement meublé et éclairé a giorno. J’insiste sur cette circonstance et ajoute que les lustres et les lampes brûlèrent pendant toute la séance. Rien ne pouvait échapper à nos regards. Nous étions environ une quinzaine de personnes.
« Soudain, la porte s’ouvre et, à côté du prince Murat, on aperçoit le mystérieux héros du jour, Dunglas Home, qui s’était fait si longtemps attendre et qui inspirait tout à la fois l’inquiétude et l’effroi.
Le prince Murat le présenta à Mme Jauvin et à nous. Je pus l’examiner à loisir…
On s’installa. Chacun s’assit où bon lui semblait autour d’une table ronde recouverte d’un tapis. Rien n’avait été préparé. Cette table, autour de laquelle la famille avait l’habitude de s’asseoir, était restée à la place coutumière. Les uns étaient tout contre la table, les autres à une certaine distance – chacun selon sa convenance. Dunglas Home s’assit dans un fauteuil éloigné de trois ou quatre mètres. Tout contact entre lui et la grande table était absolument impossible. D’une voix légèrement voilée, il demanda : “je ne sais s’ils sont déjà ici, s’ils viendront…” Ces mots firent frissonner les dames… Ils… Ah ! Oh ! Ils, les esprits !… Home renversa la tête sur le fauteuil et ferma les yeux. Il devint de plus en plus pâle : “La transe commence”, chuchota le prince Murat. Tout à coup, Home cria un nom anglais :
« Bryan… Bryan, êtes-vous ici ?
« Au même moment arrivèrent de la direction de la table deux coups brefs, nets, très rapprochés, et dont le rythme était si singulier qu’il me semble les entendre encore.
« – Bryan vient presque toujours quand je l’appelle ; c’était mon meilleur ami.
« Au même instant, les cristaux des lustres s’agitèrent et, du fond de la chambre, arriva, comme mue par une force irrésistible, une chaise qui fit halte devant nous. Home restait immobile dans son fauteuil. Soudain, il s’écria :
« – Ils sont venus, ils nous entourent. Ils vont se manifester et chacun pourra se convaincre de leur présence.
« A cette minute, je sentis comme une main de fer saisir ma cheville et je poussai un cri. D’autres sentirent le contact de cette main de fer, qui sur la nuque, qui sur le bras. Cette étreinte ne faisait pas le moindre mal, on sentait seulement la pression des doigts, je dirais presque de chaque doigt séparément ; il faut avoir éprouvé cette sensation pour s’en faire une idée.
« Lentement, le tapis se souleva. Et nous vîmes, en dessous, se tendre vers nous quelque chose qui ressemblait à des mains sous un drap. Je reculai instinctivement. Les messieurs, mon mari notamment, saisirent ces mains et les serrèrent énergiquement pour qu’elles ne leur échappassent point. Quand, malgré tous leurs efforts, ils virent, l’un après l’autre, l’objet saisi leur fondre entre les doigts, ils se dépêchèrent de soulever le tapis pour voir s’ils n’étaient pas dupes de quelque tour d’escamotage. Ils eurent beau chercher, ils ne trouvèrent rien. Certains même s’étaient glissés sous la table pour monter la garde. Home les regardait sans bouger et avec indifférence. Au bout de quelques minutes, ces messieurs reparurent et allèrent reprendre leurs places… »
De Londres à Rome, en passant par Paris et Saint-Pétersbourg, Daniel Dunglas Home ne cesse d’étonner ses partisans ou de dresser contre lui ses détracteurs. On spécule sur ses prétendues pouvoirs alors qu’aucun médium n’a jamais fait l’objet d’autant de surveillance dans ses expériences. Mais fatigué par de nombreux déplacements, affaibli par une tuberculose tenace et par les séances éprouvantes psychiquement, Home, à 38 ans, décide de mettre un terme à ses exhibitions, encouragé par sa nouvelle épouse, Julie de Gloumeline, une Russe fortunée. Le couple s’installe à Paris. C’est dans la capitale qu’il décède, à 53 ans, le 21 juin 1886.
Au cimetière de Saint-Germain-en-Laye, sa tombe ne fait pas l’objet de la même dévotion que celle d’Allan Kardec au Père-Lachaise. Home a pourtant fortement marqué son temps. Dans l’un de ses deux ouvrages, il se décrivait comme « un instrument inconscient ». « Les Esprits, écrit-il, se servent de mon fluide pour se manifester, communiquer avec les hommes et faire connaître leur pouvoir. » En fit-il de même après sa mort ? Home sweet home !


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