Prendre les eaux… Histoire du thermalisme en Aveyron (2)

Les moines de Sylvanès mettent de l’eau dans leur vin

Les moines de cette abbaye saisirent très tôt, outre la culture de la vigne, l’opportunité d’allier l’essentiel à l’indispensable, le vin pour les agapes et l’eau pour en éliminer les séquelles. Près des sources, ils avaient installé un caravansérail, le « Mas Théron », où ils venaient prendre les eaux au milieu des populations locales. Cette cohabitation ne manqua pas de soulever des problèmes d’éthique monacale. Le bruit et l’indiscrétion des baigneurs s’ajoutant bientôt à la promiscuité des lieux, les obligèrent à se réfugier plus en amont et à construire un grand hôtel qui devait, jusqu’au XIXème siècle accueillir les curistes. Si l’on en croit le docteur Malrieu, correspondant de la Société royale de Médecine au siècle précédent, « l’affluence toujours croissante des baigneurs contraignit les moines à construire de nouvelles piscines pour les deux sexes ainsi que des piscines particulières, car il y a des gens qui n’aiment pas se baigner en compagnie, ni dans des bassins où la chaleur les incommode ». Ces bains, affirmaient deux médecins de Montpellier, sont recommandés « à cause de leur chaleur modérée et de leur onctuosité très propre à humecter les fibres nerveuses et charnues ».

Au début du XIXème siècle, avec ce souci du détail qui caractérise son œuvre, l’historien Amans-Alexis Monteil apporta de l’eau au moulin des sources de Sylvanès : « Les eaux thermales jaillissent au pied d’une colline et forment deux fontaines ; celle qui remplit le caveau de bains, élève à l’orifice le thermomètre à 32°, et dans les bains à 30°. L’autre est plus limpide, et sa chaleur a quatre degrés de moins. » Mais, trop bavard, il ajoutait que la région était infestée de reptiles. Jouant de la critique élégante, il mettait ensuite en lumière la vie de ce petit monde thermal, copie conforme de celui qui fréquente aujourd’hui les thermes :

« On croit approcher du terme de ses maux, quand on voit la fin de ceux des autres… Le séjour en devient même agréable en pleine santé… La matinée s’y passe bien en remèdes, mails il est convenu que l’après-midi on sera bien portant. Cette partie du jour est destinée aux plaisirs, à la promenade et aux distractions de tout genre… On se promène, on cause, on rit, on chante, et même parfois on danse. C’est dans ce joyeux régime que la plupart des malades recouvrent la santé en publiant les louanges des eaux de Sylvanès. »

Ne tournez plus autour du pot, buvez de l’eau d’Andabre

Cette publicité fit la gloire des eaux d’Andabre à la fin du XIXème siècle. « La Vichy du Midi », appelée ainsi parce que les eaux d’Andabre sont à la fois alcalines et gazeuses, avait alors pris place parmi les stations thermales en vogue. « Mais, notait le docteur Blanc en 1876 ce qui lui donne sur Vichy une incontestable supériorité, c’est qu’elles sont aussi notablement ferrugineuses. » Un atout que la station ne sut pas mettre à profit pour supplanter sa rivale auvergnate.

L’habitude de venir prendre les eaux de Camarès remontaient déjà plusieurs siècles en arrière. Ainsi vit-on Nicolas Pavillon, évêque d’Alet, ville pourtant reconnue pour ses eaux, venir chercher dans celles de Camarès un remède à ses maux. Vingt ans plus tard, une ordonnance de l’Académie des sciences de Paris concluait sur leur utilité « dans les affections de l’estomac, des reins et du foie, les classant au rang des plus considérables et des meilleures du royaume ».

Les eaux chaudes de Sylvanès, prises en bains, se complétaient donc merveilleusement avec les eaux froides de Camarès, consommées en boissons. Aussi, entre 1850 et 1900, un essor continu marqua l’époque glorieuse du thermalisme sud-aveyronnais. Les établissements hydro-minéraux de Sylvanès et de Camarès le devaient principalement à la voie ferrée qui, de Montpellier à Saint-Affrique, permettait aux curistes des départements limitrophes d’arriver sans contrainte. Des voitures publiques, à l’arrivée des trains, portaient directement les baigneurs vers l’établissement de leur choix. Vers 1850, Andabre pouvait loger une centaine de personnes tandis que l’hôtel des Bains de Sylvanès accueillait trois cents personnes environ.

La saison s’ouvrait du 15 juin à fin octobre. Les soins se déroulaient le matin. Bains de piscine, dans des baignoires individuelles, douches et buvette des petites eaux offraient à une clientèle aisée tous les agréments d’une cure thermale. Un patient, atteint de coliques néphrétiques, se devait de boire matin et soir, en les espaçant d’un quart d’heure, deux verres d’eaux d’Andabre, source de la Buvette. Tous les deux jours, il se rendait à Sylvanès pour prendre un grand bain. Un régime rafraîchissant avec légumes frais, lait… accompagnait sa cure étalée sur six semaines. Quand il se trouvait mieux, il passait à trois verres matin et soir. Enfin, un verre d’eau de la source chlorurée dite de Bosc permettait d’obtenir un effet laxatif. L’après-midi était ensuite consacrée aux promenades en attendant de se retrouver le soir au casino. Aucun malade ne quittait l’établissement sans avoir fait provision de pastilles ou de tablettes semblables à celles de Vichy, de chocolat digestif et d’une certaine quantité d’eaux d’Andabre et de Prugnes. Boisson médicale mais aussi d’agrément à mélanger en limonade, parfum framboise, groseille ou citron. En 1867, Prugnes-les-Eaux revendiquait 217 buveurs abonnés et 1880 litres d’eau expédiés. Outre la population locale et des départements voisins, quelques riches Aveyronnais de Paris venaient en villégiature avec femme, enfants et bagages. Cependant, tandis que Vichy grimpait au firmament du thermalisme, les curistes désertèrent peu à peu les établissements de Sylvanès et d’Andabre. Les caprices d’un impératrice n’expliquent pas tout.

Loin de Paris et des grands centres urbains, le Sud-Aveyron semblait encore un bout du monde au siècle dernier. Le procès que Vichy intenta à la maison Bonhoure pour usurpation de titre n’arrangea rien à ce qui semblait être le début d’un lent et inexorable déclin. Un syndicat mixte a bien été créé en 1987 à Sylvanès mais seul l’avenir dira si le thermalisme sud-aveyronnais peut devenir un facteur de développement économique.

La montagne qui brûle

Cransac doit avant tout sa réputation à ce qui fut longtemps considéré comme l’une des curiosités géographiques du continent européen : le puech que ard, « la montagne qui brûle », qui impressionna tant de voyageurs au siècle dernier. Dans l’Antiquité, Romains et Gaulois durent sans doute imaginer ces coteaux comme autant d’ateliers du dieu Vulcain. Plus tard, ce phénomène fut attribué au volcanisme en comparant la montagne au Vésuve. Loin de la mythologie et d’une géologie en goguette, on sut, dès le XVIIIème siècle, qu’un tel phénomène obéissait à des règles physico-chimiques propres. Dans ces terrains fissurés, l’air humide provoque en effet, par oxydation des pyrites, la combustion spontanée des roches. D’où les dégagements de gaz et de vapeurs, simulant un volcan que l’on peut encore voir et dont l’utilisation fait la richesse et la réputation des thermes de Cransac. « En s’approchant du lieu où cette combustion opère, notait Hippolyte de Barrau en 1850, on voit que le sol est miné et l’on découvre de distance en distance de larges crevasses par lesquelles se dégagent de la vapeur d’eau et des fumées acides. Lorsqu’on est sur le bord de ces fentes, la chaleur devient insupportable, et l’on n’a plus lieu de s’étonner si les effets de cette chaleur, jointe à l’action des vapeurs acides, ont modifié d’une manière si complète les lieux dans lesquels ces actions chimiques s’effectuent ».

Merveilleux spectacle, amplifié la nuit, quand les flammes diversement colorées embrasaient la montagne, lui donnant un aspect féerique.

Ces étuves naturelles furent rapidement utilisées à des fins médicales. Les installations se résumaient encore au milieu du siècle dernier « à des sortes de cabines en planches portatives, avec un banc pour s’asseoir, un clou pour pendre ses vêtements, un couvercle percé d’un trou pour passer la tête et ne pas être étouffé ». Parfois, les baraques prenaient feu, provoquant un début de panique. Montés en chaises à porteurs ou à pied, munis de manteaux et de couvertures pour s’envelopper entièrement au sortir de l’étuve et ne pas en perdre le bénéfice, l’accoutrement des curistes les faisait ressembler à des revenants bien singuliers. Aux étuves, s’ajoutait d’autre part la prise quotidienne d’eau minérale ferrugineuse, connue dans toute la région pour ses vertus laxatives.

Filtrer ses eaux

Avant l’arrivée de la « Bête noire », il était difficile de parvenir à Cransac. Des sentiers étroits et escarpés y menaient tant bien que mal, impraticables en hiver, les cavaliers courant toujours le risque de rouler avec leurs montures dans quelque précipice. Le train, bien entendu, permit à Cransac d’élargir sa clientèle aux régions limitrophes du Quercy, du Languedoc et de l’Auvergne. Chaque années, deux à trois mille malades arrivaient entre juin et septembre à Cransac, envahissant les trois hôtels, les sept à huit auberges et presque toutes les maisons qui devenaient autant de pensions improvisées pour accueillir les familles les plus démunies. Inutile de dire que cette migration saisonnière représentait une manne économique providentielle. En 1841, 3860 curistes étaient recensés et 90 000 litres d’eau vendus en bouteille vers Paris et dans le département.

A cette affluence répondit bientôt la nécessaire modernisation des équipements. Aux paysages riants entourant Cransac, formés de collines revêtues de vignes, de châtaigneraies et de champs de maïs, s’ajouta l’aménagement d’un parc spacieux et charmant, au milieu duquel trônait un pavillon élégant où coulait la source principale. Par des allées sinueuses, on s’élevait ensuite insensiblement sur le coteau avant d’atteindre les étuves naturelles. Un cabinet de minéralogie et quelques bêtes curieuses complétaient l’exotisme de la station.

Restait à se soigner ! Entre 6 et 9 heures, à jeun, il suffisait de boire toutes les dix à vingt minutes un verre d’environ 200 gr. Vers 9 heures, le patient prenait un bouillon de veau. Liberté de menu au repas du soir. Pour l’efficacité de la cure, le séjour devait varier entre douze et dix-huit jours. A petites doses, l’eau de Cransac était surtout diurétique et apéritive. A doses plus élevées, on obtenait un effet laxatif et légèrement purgatif. Si le besoin s’en faisait sentir, le curiste pouvait rapidement « aller filtrer ses eaux » dans des vespasiennes cachées dans les bosquets. Il arriva même à un curiste harpagon, mécontent de l’augmentation de l’abonnement, d’en boire tant qu’il en périt.

La halte nocturne d’une nation qui émigre

La révolution industrielle, basée sur le charbon, brisa net l’élan de la station. Les géologues des grandes compagnies, à la recherche de l’eldorado carbonifère, s’aperçurent bien vite que le sous-sol de Cransac recelait de vastes couches de houille. Commença alors la lutte inégale du pot de fer contre le pot de terre, les millions des grandes compagnies contre les économies familiales des propriétaires. Une épreuve de force, perdue d’avance, qui bouleversa l’économie locale.

Il y avait en effet un danger évident pour l’existence des sources minérales à opérer dans la montagne un travail superficiel et souterrain capable d’altérer et peut-être détruire des eaux d’une nature toute spéciale. La loi accordait bien autour des sources un périmètre susceptible d’assurer leur conservation, mais le pouvoir était du côté des plus forts et Cransac se lança dans l’extraction de la houille. Un voyageur, passant dans la région au cœur du XIXème siècle, s’enthousiasma à la vue de la civilisation qui s’y épanouissait :

« A l’obscurité profonde qu’entretiennent sur les routes environnantes le feuillage épais des châtaigniers, l’escarpement des montagnes, succède tout à coup un océan de lumières, disséminées dans une plaine qui, la nuit, semble n’avoir pas de limites : ces feux, d’abord confus à l’horizon, et tour à tour apparents ou cachés, suivant les accidents de la route par laquelle on arrive, se dessinent bientôt en lignes parallèles : on dirait alors l’immense bivouac d’une grande armée, ou la halte nocturne d’une nation qui émigre… Les bâtiments de la forge et des hauts-fourneaux éclairés par le reflet des flammes, revêtent des formes bizarres et fantastiques ; on dirait une ville, avec ses édifices, consumée par un effroyable incendie… »

Avec le développement de la houille, les sources virent peu à peu leurs débits diminuer, perdant leurs eaux par les galeries souterraines. A la fin du XIXème siècle, les établissements Roques, qui exploitaient deux nouvelles sources, vantaient encore « la reine des eaux minérales de France, de cette nature ». Mais l’environnement de Cransac, avec ses plis et ses boursouflures de cendres et de scories, empêcha tout développement. En 1886, le pavillon thermal et le Parc furent même ensevelis sous un immense terril.

Quant aux étuves, une clientèle locale continuait de les fréquenter. Un établissement comprenant plusieurs cabines accueillait désormais les malades. Les vapeurs sulfureuses, arrivant directement du sol, étaient régularisées au moyen de soupapes, de façon à moduler la chaleur nécessaire comprise entre 32° et 48°. Les malades étaient mis dans une boîte à fumigation fermée, de façon que la tête soit absolument à l’air, durant dix à vingt minutes. « Pendant la durée de l’étuve, notait un docteur, le malade subit une sudation très importante, l’appareil circulatoire réagit énergiquement, les vaisseaux cutanés se dilatent, la peau devient rouge, turgescente. A la sortie, il boit un bouillon puis il se met au lit pendant une heure environ. On peut dire qu’aucun rhumatisme ne résiste à l’action combinée des eaux et des étuves. »

La reconversion de Cransac : ça coule de source…

Aujourd’hui, des infarctus à répétition ont entraîné la dégénérescence du tissu industriel de cette région longtemps vouée « au dieu charbon ».  Refusant de mourir à petit feu, Cransac a su se reconvertir en se rappelant que les sources thermales et les étuves avaient autrefois assuré sa renommée. Parc thermal, nouveau bâtiment, club hippique et espaces verts montrent à quel point la ville a fait un choix judicieux. Désormais, chaque année, près de deux mille cinq cents curistes profitent des vertus de la « montagne qui brûle ».

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