Prendre les eaux… Histoire du thermalisme en Aveyron (1)

Une seule station thermale à l’aube du XXIème siècle, huit au milieu du XIXème siècle, le thermalisme aveyronnais ne fait plus depuis longtemps florès. Certaines, comme Andabre et Sylvanès, ont sans doute manqué leur rendez-vous avec l’histoire par la faute d’une impératrice tandis que d’autres, Pouchicoux ou Pont-les-Bains, n’ont pas eu la chance de tomber sur un explorateur hardi comme le Ruthénois Louis Bouloumié, créateur des thermes de Vittel. Nous restent des cartes postales, une profusion de livres, des souvenirs et bien sûr des sources, qui n’ont jamais tari.

Aux Romains les grands remèdes ?

Il en est de l’origine du thermalisme aveyronnais comme du vignoble de Marcillac et du roquefort. Aux grands magasins de l’histoire, les Romains tiennent indubitablement la première place. Facilement, leur sont octroyés création ou développement ; le meilleur et le pire ; le vrai et le faux. Des hypothèses trop souvent transformées en certitudes.  Et bien non ! Les Romains ne trinquaient pas à la Saint-Bourrou de Marcillac. Rien ne prouve que leurs légionnaires tartinaient leur pain d’un roquefort pourquoi pas estampillé Société ou Maria Grimal. Pas plus d’ailleurs qu’aux comptoirs des tavernes de Segodunum et de Condatomag, on ne servait à côté des cervoises mousseuses, l’eau gazeuse d’Andabre ou ferrugineuse de Cransac. Ou bien expliquer la longévité de la dame de Saint-Sernin qui tue son ennui au musée Fenaille par la prise de quelques bains de Sylvanès.

Pourtant, férus de bains en tout genre, les Romains, après avoir trucidé du Gaulois, se délectaient-ils de nos sources thermales, recherchant dans leurs potions magiques la force de combattre ? Pourquoi pas, après tout ! Si l’on retient que Cransac et Sylvanès se déclinaient dans l’Antiquité en Carantiacum (« le domaine de Carantus ») et en Sylvanum. Ainsi, en feuilletant les nobles mémoires de Mme Rolland de Lamothe Dreusy, apprend-on que les eaux de Cransac coulaient encore en 1850 « par de vieilles têtes romaines, verdies par les siècles, et dans une antique piscine. » Comme l’écrivait le docteur Marcel Carrière en 1899, « avec le culte que Rome vouait aux stations thermales, il serait bien étonnant que les sources de Sylvanès et de Cransac eussent échappé à leurs investigations ».

Une infirmerie bocagère

Par bonheur, le Moyen Age garde pour les chercheurs un plus grand esprit d’ouverture. Tout commence en 901 quand une brave femme et ses deux fils cèdent au monastère de Conques leurs domaines et la fontaine rousse sise au village de Caranciago (Cransac). Deux siècles plus tard, les moines de Sylvanès font référence pour la première fois aux sources qui jaillissent près de l’abbaye. Sous leur influence, les eaux minérales prirent de la bouteille et des aménagements successifs amenèrent Sylvanès au rang de petite station thermale avec bains, douches et petit établissement. Retour à Cransac en 1596 quand Raymond d’Austry, bourgeois de Rodez, parle d’une fontaine purgative découverte au pied de la montagne qui brûle. « C’était à qui en buvait, dix, douze, quinze ou vingt verres et plusieurs malades y allaient en boire en mai et septembre. Là, se faisaient l’alun et le soufre et aucuns recouvraient santé et guérison… » Des praticiens aussi prestigieux que Chirac ou Alibert, des chimistes renommés comme Lémery reconnurent à leur tour la qualité des eaux aveyronnaises dont Cransac était le fleuron. « Le transport qu’on en fait continuellement dans divers pays, le grand abord des peuples qui viennent de toutes parts dans ce lieu, est une preuve incontestable de leurs rares vertus ».

Malgré la création en 1605 d’une surintendance des eaux minérales de France, de nombreuses installations demeuraient précaires, pour ne pas dire dans certains cas insalubres, ce qui fit dire à l’historien Amans-Alexis Monteil que l’on se trouvait dans ces stations comme dans « une infirmerie bocagère », avec tout ce que cela comporte d’agréable, mais aussi de sous-entendus.

A ce vagabondage historique se greffent aussi de belles légendes sorties tout droit de la mémoire collective. A la source du Pont, entre Marcillac et Salles-la-Source, la sagacité d’un muletier qui guérit une de ses bêtes de la gale suffit à la reconnaissance d’une source sulfureuse. Bosc, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du Rouergue, n’hésite pas à raconter l’intrépide aventure que quelques bergers de Cransac qui s’étaient mis en tête d’éteindre le puech que ard en détournant l’eau d’un ruisseau voisin. « Quelle fut leur surprise, ajoutait-il, lorsque quelques moments après, ils entendirent un bruit horrible dans l’intérieur, et qu’ils sentirent la terre trembler sous leurs pieds ! La frayeur les saisit, ils prennent la fuite, et bientôt frappés du bruit de l’explosion qu’ils avaient occasionnés, ils se retournent et voient dans les airs une nuée de cendres, de feu, de fumée et de pierres… »

Thérapeutique des temps modernes

Si reconnaissance des vertus il y avait, elles émanaient pour la plupart de médecins « branchés » dont les diagnostics gardent aujourd’hui une saveur irrésistible. C’est le cas, parmi d’autres, d’un certain Jean Duclos qui décrivit, en 1649, « les vertus et rares qualitez de l’eau de Foncalde » (Saint-Geniez-d’Olt), véritable ode thérapeutique à la gloire de ces eaux miraculeuses, bien délaissées aujourd’hui :

« Elle purge quelques fois par vomissements, et fait cracher beaucoup de phlemes, elle pénètre si bien toutes les parties du corps, quelle y découpe et attenue les humeurs grossières et gluante et les emporte ou les fait sortir par tout le corps : ceux qui ont de la gale voyet quelle la faict sortir et que peu à peu elle se perd. Elle corrige l’inttempérie des viscères, elle rafraîchit ceux qui sont chauds les desopilant et en sortant les humeurs libieuses, et echauffe ceux qui sont froids, fortifia la chaleur naturelle. Elle est souveraine côtre la pierre gravelle, côtre la difficulté d’urine, côtre les affections de matrice, elle purge la rate et les hypocondres de la mélancolie, provoque les mois aux femmes, soulage ceux qui sont travaillez de cathares, de migraine, de palpitations de cœur… »

On se rendrait presque malade pour en boire ! Qu’à cela ne tienne, Jean Duclos nous convie à suivre un véritable régime de galérien : « Le patient se doit premièrement préparer par une purgation, convenable à son mal et à son tempérament. Il les faut prendre de bon matin, par ce qu’il en faut boire chaque jour par trois fois, entre lesquelles il faut se promener quelque teps comme environ demy-heuree. Il ne faut pas commencer à boire ayant chaud, chaque prise sera de cinq, six, sept, huict verres ou plus tant qu’on voudra, allant tous les jours croissant iusques a la moitie du temps qu’on en voudra boire, et diminuant apres peu a peu comme on avoit augmenté. Il en faut prendre neuf ou dix jours du mois, car en prenant peu de jours, elles ne font qu’esmouvoir les humeurs et ne les evacuent pas assez… Après la dernière prise, il ne faut pas se promener trop long temps ; ou sen aller trop loing sans se reposer souvent. Ceux qui sont sujects à la pierre y doivent bien prendre garde et de n’aller pas à cheval. Il se faut garder du soleil tant que faire se pourra. Trois heures après la dernière prise, les eaux estant toutes ou pour la plus grande part rendues on pourra diner, ayant quelque heure auparavant pris un bouillon, qui pourra estre laxatif si les eaux n’opperent pas assez… Le soir il faudra souper legerement et s’abstenir pendent ce temps des viandes de mauvais suc et de dure digestion, côme sont, lard, bœuf, venaison, pieds ventres et teste d’animaux, laict, fromage vieil et salé, salades, légumes et toute sorte de fruicts, si ce n’est de quelques amandes seiches ou paserilles pour le dessert, fuyant aussi la diversité comme ragouts, espiceries, patisseries, fricassées et semblables. On pourra ce nourrir de veau de laict, mouton, chevreau, agneau, chapons, poulets, perdris, pigeons, caillies, et œufs frais molets, le matin bouilly, et soir rosty, de bon pain blanc fort cuit et anisé s’il se peut, de vin blanc le matin s’il y en a, et le soir du clair : le tout avec grande modération, et repos d’esprit. Après avoir beu tant qu’on aura voulu, il faut repurger le corps et ne le travailler pas beaucoup, c’est pourquoi s’il y a long et fascheux voyage a faire, il seroit bon de se reposer deux ou trois jours après la purgation, autrement on n’aura pas tant de soulagement qu’on pouvoit esperer de ces eaux n’y de leurs semblables.

Laissons la conclusion de cette ordonnance à notre illustre Chirac, médecin de Louis XV et natif de Conques : «  La peste blanche de Mademoiselle étant, on la fera partir pour aller boire les eaux de Carensac pendant trois semaines ou un mois, se reposant deux ou trois jours de tems en tems pour se purger légèrement. »

Florilège thermal

Esquisse historique pour remonter à la source et thérapie de groupe thermale démontrent si besoin était toute la richesse des eaux minérales de l’Aveyron, fort diverses quant à leurs compositions. Bien plus nombreuses, en effet, étaient autrefois les sources reconnues pour leurs vertus et fréquentées par les buveurs. Au-delà des exemples de Sylvanès, d’Andabre et de Cransac, il en est toutefois quelques-unes qui réclament qu’on s’y attarde un tant soit peu dans la mesure où elles connurent elles aussi leurs heures de gloire.

Les habitants de Pont-les-Bains, les anciens particulièrement, se rappellent combien étaient encore fréquentées les sources avant la guerre. Au milieu des vignes, les bains du Pont pouvaient paraître une hérésie. Il n’en était rien et la clientèle qui fréquentait les caves à mansois, Ruthénois, agriculteurs du Ségala et mineurs du Bassin Houiller, s’en venait souvent l’été prendre les eaux et les bains dans les trois établissements que comptait le village.

C’est en 1835, à l’initiative du docteur Anglade, que les eaux du Pont suscitèrent un certain engouement parmi les malades. Jean-Marie Tisseyre raconte que « les débuts de la station furent bien modestes ! L’eau était tout simplement chauffée en plein air, et les malades baignés dans une étable, séparés uniquement entre eux par un drap tendu ». Bien vite, parce que la région n’était pas riche et que quelque part il valait mieux mettre un peu d’eau dans son vin, les trois établissements (Metge en 1840 ; Cazals en 1860 et Revel en 1865) se partagèrent le filon.

Tandis que les stations thermales en vogue se modernisaient dans un luxe qui seyait à leur riche clientèle, les hôtels du Pont conservèrent leur modestie champêtre, eu égard aux catégories sociales des curistes et au degré de fréquentation qui ne dépassa jamais annuellement les six cents personnes. Leurs capacités d’accueil se limitaient à cent vingt personnes, ce dont profitaient les riverains qui, l’espace d’un été, transformaient leurs habitations en autant de pensions. La population, estimée à une centaine d’habitants, faisait plus que quintupler en périodes de cures, bouleversant l’activité du village. Aux eaux minérales s’ajoutaient des eaux sulfureuses prises soit en bains, soit en douches ou, plus rarement, en boissons.

Cette activité saisonnière, qui connut son apogée à la fin du XIXème siècle, se réduisit peu à peu. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la fréquentation était devenue si confidentielle que le dernier établissement mit la clé sous la porte. Quant aux sources, elles coulent toujours sous les dalles de quelques caves à vin. Grandeur et décadence pour des eaux comparées pour leurs qualités et leurs compositions à celles d’Enghien, de Cauterets ou de Bagnères.

Outre les eaux du Pont, une cinquantaine de sources aveyronnaises étaient recensées au XIXème siècle sur les 1450 que comptait la France. La réussite exemplaire de Vittel ou de Vichy provoquait bien des envies parmi les docteurs ruraux qui s’empressaient de faire analyser de petites sources localement réputées pour leurs vertus. Tel fut sans doute le cas du docteur Bongrand qui compara, en 1842, les eaux de Cassuéjouls à celles de Spa et de Forges. « Elles contribueront puissamment un jour, affirmait-il, à augmenter les richesses de la contrée et seront d’une efficacité incontestable dans le traitement de certaines maladies, alors que déjà elles ont reçu depuis moins d’un an l’approbation de l’Académie de Médecine… » Autorisées à l’exploitation le 24 novembre 1847, les eaux de Cassuéjouls n’étaient déjà plus fréquentées dès 1863. Pourtant, ferrugineuses, bicarbonatées et gazeuses, elles avaient, dit-on, la faculté de soigner chlorose, anémie et maladies du foie. Au même rang, citons les eaux minérales de Prohencoux (proche de Mur-de-Barrez avec établissement de bains et mises en bouteilles ou celles, enfin, de la fontaine minérale du Cambon, sur la commune de Montjaux, qui connut un certain succès dans les années 1860. Pour un abonnement annuel d’un franc, purge assurée aux buveurs constipés !

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