1789 : Les Rouergats présentent leurs doléances
Le 24 janvier 1789, les curés de l’ensemble des provinces du Royaume annoncent en chaire le décret royal, fixant les modalités de désignation des députés aux Etats Généraux. Au sein du peuple, qui souffre depuis deux années des mauvaises récoltes dues aux aléas climatiques, l’enthousiasme prend enfin le dessus sur la résignation. La mesure, en effet, est exceptionnelle : les Etats Généraux n’ont plus été convoqués depuis 1614.
En attendant le 16 mars, c’est au son des cloches et par voie d’affichage que les assemblées du Tiers-État se réunissent dans chaque communauté fiscale pour adresser « au bon roi Louis XVI » leurs cahiers de doléance.
Une radioscopie de l’Ancien Régime
Parmi les 40 000 cahiers encore conservés de nos jours sur un total de 60 000 rédigés en 89, seuls quinze exemplaires appartiennent au Rouergue. Ils proviennent des communautés du Truel, d’Espeilhac, de Roussy-Ginolhac, Saint-Cirice-La Raffinie (Rulhac-Saint-Cirq), Salles-Comtaux (Salles-la-Source), Millau ou bien encore Villecomtal.
Leurs lectures, assez décevantes, ne se distinguent guère du contenu général. Sans doute, ici comme ailleurs, les villageois ont-ils dû s’inspirer des modèles largement distribués par les agents du duc d’Orléans ?
Assemblé le 8 mars 1789 dans l’église des Carmes, le Tiers-État de la communauté de Millau regroupe ses doléances en trente articles. Les principales revendications portent sur la fiscalité (suppression de la gabelle, abolition des privilèges), la justice (fin des tribunaux d’exception) et l’armée (réforme du recrutement de la milice). Les membres du Tiers-État n’oublient pas non plus d’évoquer les problèmes locaux. Ils demandent notamment la reconstruction du Pont-Vieux, détruit en 1757 par une nouvelle crue du Tarn.
A Salles-Comtaux, les propositions des villageois rejoignent en partie celles de Millau. L’assemblée demande que les opinions de tous les députés soient prises par tête et non par ordre ; que la ferme générale soit supprimée ; qu’il n’y ait dans le Royaume qu’un même poids et mesures. Vingt-cinq articles en tout et pour tout, signés par les consuls de la communauté, qui réclament en outre le rétablissement des « Etats du Rouergue ».
A Espeillhac, c’est le bon ordre et la jeunesse qui est montrée du doigt. « Qu’il soit établi de distance de brigades de maréchaussée, qui serait tenus de passer tous les mois dans chaque paroisse de leur arrondissement, pour recevoir les plaintes du curé et des principaux de ladite paroisse et d’aller dans les foires pour y veiller au mentient du bon ordre, qui est souvent trouplé par les atroupements de la jeunesse de différentes paroisses, ce qui cause des trouples et des dissantions entre elles, qui sont souvent suivies de meurtres et de mors, sans que les auteurs soit punis… »
Les routes font aussi l’objet de nombreuses réclamations comme à Roussy-Ginolhac. « Que la route de Rodez à Aurillac par Entraygues, piquettée longtemps avant l’établissement de l’Administration provinciale de Haute-Guyenne (…), est encore à ouvrir (…) et qu’elle soit ainsy de la plus grande utilité pour le commerce, qu’elle est même devenue de la première nécessité pour cette communauté, pour l’exportation de ses vins, avec lesquels seuls elle peut se procurer une subsistance. »
Douze députés à Versailles
Le 16 mars, les électeurs désignés dans chaque communauté se rendent aux sénéchaussées de Rodez et de Villefranche-de-Rouergue pour élire leurs douze députés aux Etats Généraux.
A Rodez, le juge-mage M. de Séguret ouvre la séance inaugurale, le 12 mars 1789. Chacun, dans l’enceinte, sent bien que l’instant est solennel. Au centre se sont installés les 457 députés du Tiers-Etat. Les membres du clergé et de la noblesse, peu nombreux, se sont faits représenter par des délégués. L’ordre des séances est parfaitement organisé. Il faut d’abord réduire au quart des inscrits les députés-électeurs du Tiers, soit 189 députés.
Quarante commissaires sont ensuite désignés pour préparer une première synthèse de l’ensemble des cahiers du Tiers. Ce n’est que le 19 mars que le texte définitif est approuvé. Pendant ce temps, les ordres de la noblesse et du clergé procèdent à leur propre rédaction des cahiers. Le 20 mars se déroulent enfin les élections des députés. Mgr Colbert de Castlehill, connu pour ses opinions libérales, n’est élu qu’avec une voix de majorité. Les nobles désignent le maréchal de camp, Adhémar de Panat. Quant aux voix du Tiers-État, elles se portent sur un fervent royaliste, Pons de Soulages et sur une sommité agricole, Antoine de Rodat, propriétaire à Olemps.
Dans le même temps, les députés de la sénéchaussée de Villefranche-de-Rouergue, auxquels se sont joints ceux du baillage de Millau, tiennent leur assemblée dans la chapelle Notre-Dame. Les 70 nobles présents désignent l’officier de marine Montcalm-Gozon et le comte de Bournazel d’Aubin pour les représenter. Il faut quatre tours de scrutin avant que l’abbé Malrieu, prieur de Lebous et M. de Villaret, vicaire-général de Rodez, soient élus par leurs pairs du clergé.
Le 24 mars, c’est enfin au tour du Tiers-État de procéder à son élection. Le vote fera la part belle aux avocats, qui rafleront trois députations sur quatre : Manhaval de Bèz, près de Lanuèjouls ; Joseph-Marie Lambel de Mur-de-Barrez et Andurand Antoine, de Villefranche-de-Rouergue. Seul, J.F. Perrin de Viviez n’appartient pas à cette corporation.
Ainsi munis de leurs mandats, un double de chaque cahier dans leurs bagages, nos douze députés montent à Versailles. Un voyage d’une dizaine de jours avant d’atteindre les environs de la capitale où, le 2 mai, les députés sont présentés au Roi.
Nul, cependant, n’envisage encore les événements qui vont bouleverser l’état du Royaume.
La grande Peur
L’annonce de la prise de la Bastille parvient dans notre contrée vers le 20 juillet en même temps qu’une nouvelle, nourrie par la rumeur. Un peu partout, on affirme avoir vu des bandes de pillards, composées de mendiants, de crève-la-faim ou de paysans exaspérés par la lenteur des réformes, détruire les récoltes et attaquer les villes. S’ensuit une panique collective. Au moindre attroupement suspect, le tocsin retentit, contribuant à l’affolement des populations. A Rodez, il s’en faut d’un rien pour que la « Gran Poù » ne se termine en tragi-comédie. Le 1er août, les habitants du Faubourg, croyant être attaqués, mettent la population de Rodez sur les dents. Mais, en guise de brigands, ce ne sont que des habitants du Vallon de Marcillac, venus chercher de l’aide auprès des Ruthénois. « Au milieu de cette agitation, écrit l’historien royaliste Fernand de Barrau,, un homme en habit de religieux, parcourait les rues, une hache à la main, se mêlant aux groupes armés et donnant l’exemple d’une belliqueuse ardeur. C’était le capucin Chabot. On eût dit, à son air d’assurance, qu’un tel danger n’était pas fait pour l’intimider, ou qu’il en connaissait la trame mystérieuse.
La nuit se passa dans des terreurs continuelles. On garda les portes, on fit des reconnaissances mais l’ennemi ne parut point.
A Sévérac-le-Château, les craintes furent un instant plus sérieuses. Le peuple assemblé pour repousser les brigands, voulut se livrer lui-même au brigandage. Une troupe forcenée s’était déjà mise en marche pour aller incendier le château de Loupiac, sous le prétexte que les ennemis du peuple s’y trouvaient cachés.
Molinier de Villeplaine, instruits du danger, accourut à son devant, et parvinrent par leurs exhortations à la détourner de son dessein.
Mêmes alarmes dans la Basse-Marche du Rouergue. M. de Castanet de Cambeyrac arrivaient, avec 340 paysans, pour porter secours à Villefranche. Un instant après, M. de Marcilhac se présentait à la tête de ses vassaux dans le même but. Villefranche reçut ces renforts avec reconnaissance… »
Plus sérieuses sont les attaques dont font les frais quelques châteaux, de la part d’une paysannerie encouragée par l’abolition des privilèges. Le 30 août, le château de Privezac est pillé. La tension monte d’un cran au mois de décembre quand plusieurs bâtiments subissent un sort similaire, à l’exemple de l’élégant édifice Renaissance de Bournazel.
Pillage au château de Bournazel
« Vers le commencement d’octobre 1789, le seigneur s’était retiré à Villefranche avec sa famille. Pendant son absence, les bancs qu’il avait dans l’église de la paroisse furent brûlés par les paysans. C’était le 30 janvier 1790. Le comte de Bournazel témoigna de l’inquiétude pour les archives de sa maison. Ses parents, aidés de quelques amis, se chargèrent de les transporter à Villefranche.
Le 3 février, ils se rendirent en armes, au nombre d’une trentaine, à Bournazel, accompagnés des cavaliers de la maréchaussée. Les habitants, leur supposant des projets de vengeance, prirent aussitôt l’alarme. Le tocsin retentit presque au même instant à quatre lieues à la ronde.
En peu de temps, il y eut plus de deux mille paysans réunis pour attaquer le château… Quelques-uns coururent alors au presbytère pour y chercher la clé d’une autre porte qui offrait une entrée par la sacristie. Le curé, intimidé, la donna. A peine eurent-ils pénétré dans l’intérieur, qu’une action s’engagea entre eux et les gens du château qui leur disputaient le passage. Un jeune homme des assaillants y perdit la vie ; d’autres furent faits prisonniers. Cependant, le tocsin ne discontinuait pas de sonner, et la multitude augmentait d’une manière effrayante. Enfin, le jour parut, et les assiégés ne furent pas plus émus en se voyant cernés par plus de quatre mille paysans armés.
Le défaut de munitions rendant une plus longue défense impossible, ils demandèrent de capituler… A peine s’étaient-ils retirés, que la mort du jeune homme tué dans l’église, jusque là demeurée secrète, fut divulguée par les prisonniers relâchés. Le peuple en entend la nouvelle en frémissant. Il crie à la trahison ; il se précipite contre le château, qui est bientôt inondé par des flots de cette foule tumultueuse. La vue du cadavre met le comble à sa fureur. Un malheureux domestique, qui s’était trouvé endormi au moment du départ de ses maîtres, est assommé. Les meubles, les lambris, les tentures, jusqu’aux gonds des portes sont brisés ; on détruit tout. Trois fois le feu est mis à l’intérieur ; trois fois il est éteint par les modérés de la troupe. Le pillage dure tout le jour et rien n’est épargné… »
Face à ces débordements, les autorités répondent par des démonstrations de force et des arrestations, qui réussissent à calmer les esprits. Dans le Rouergue de 1789, la Révolution avait comme ailleurs enflammé les esprits. Rien, désormais, ne serait plus comme avant.
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