1790. Le Rouergue devient l’Aveyron

Sous l’Ancien Régime, l’administration ne travaillait pas dans la simplicité, avec ses divisions en pays d’état ou d’élections, avec ses généralités (le Rouergue appartenait à la généralité de Montauban) et ses multiples divisions judiciaires et militaires. Un véritable « maquis » administratif, au sein duquel le peuple de France avait bien du mal à se reconnaître.

Des choix difficiles

Admirateurs des Lumières, les députés de l’Assemblée Constituante s’attachèrent d’emblée à séculariser les institutions, brisant d’un coup, le 22 décembre 1789, l’administration royale. Adversaires déclarés de la centralisation monarchiste, ils confièrent à une commission l’étude d’un nouveau découpage, dit projet Cassini, dans le but « de créer une entité  territoriale dont le chef-lieu ne soit jamais éloigné de plus d’une journée à cheval de n’importe quel village ». A cette entité territoriale, l’Assemblée donna le nom de « département ». Le mot venait du verbe « départir », employé dans le sens de séparer, partager.

Pour le Rouergue, une commission composée des députés de l’ancienne province et de députés des provinces limitrophes se réunit le 20 janvier 1790 pour en fixer les limites. On se doute que les choix furent parfois cornéliens pour certaines communes limitrophes. Ce fut le cas pour treize paroisses de la rive gauche du Lot qui rejoignirent finalement le département aveyronnais. Au nord, il fallut l’intransigeance du député de Mur-de-Barrez, le citoyen Lambel, pour que l’ensemble de son District tombe dans l’escarcelle du département en dépit de la revendication de la Haute Auvergne de le rattacher au Cantal.

Malgré tout, un consensus se dégagea rapidement pour conserver les anciennes limites de la province du Rouergue. Désireux toutefois de rompre avec les antiques appellations, les députés lui attribuèrent un nouveau nom. La proposition d’un simple numéro n’ayant pas été retenue, les membres de la commission s’inspirèrent de la nature et de la géographie en choisissant le nom d’un des principaux cours d’eau du Rouergue. Le département de l’Aveyron était né !

Rivalité entre Rodez et Villefranche pour le chef-lieu

La discussion porta ensuite sur l’attribution du chef-lieu. Le choix se révélait on ne peut plus délicat, si l’on tient compte des prétentions des uns et des autres. Villefranche-de-Rouergue, s’appuyant sur son ancien rôle de sénéchaussée du Rouergue, en revendiquait le titre, au nom de la localité la plus considérable du département. C’était oublier que la Perle du Rouergue ne correspondait pas au critère retenu par l’Assemblée d’un chef-lieu jamais éloigné de plus d’une journée de cheval de n’importe quel point du département. Excluant de la même façon la ville de Millau de toutes prétentions. Dès lors, le choix ne pouvait que se porter sur la ville de Rodez. Le 25 janvier 1790, les députés officialisèrent ce choix, entériné par l’Assemblée, le 9 août 1790.

L’administration départementale

Un Conseil du département et son Directoire, étroitement contrôlés par le pouvoir central, assura la direction administrative du département. 359 grands électeurs, payant une contribution égale à trois journées de travail, élirent les 38 membres du premier Conseil départemental. Ces membres devaient siéger chaque année, en automne, durant quatre à six semaines. Un Directoire de 8 membres dirigeait en permanence le département. Louis de Bonald en assura la première présidence avant d’émigrer en 1791. Les libéraux, pour la plupart des notables, composaient l’essentiel des élus. Pas moins de 21 avocats siègeaient au Conseil départemental. Ses premières décisions consistèrent à désigner les neuf districts. La discussion fut vive entre les villes prétendantes, mettant en relief les querelles de chapelles. Villefranche-de-Rouergue, Rodez, Millau, Saint-Geniez, Saint-Affrique, Aubin, Sauveterre, Sévérac et Mur-de-Barrez furent retenues. Au grand désappointement d’Espalion qui fut exclue de la liste. Chacun de ses districts comprenait neuf cantons, l’ensemble regroupant 684 communes.

L’Aveyron perd trois cantons

En 1801, le Consulat créa les Conseils généraux en lieu et place des Conseils départementaux. Dans chaque département, un préfet fut installé, chargé de représenter l’état et de contrôler l’exécutif. Sainthorent fut le premier préfet à recevoir cette charge. Il s’installa à Rodez, le 27 mars 1800, dans les bâtiments de l’ancien évêché, vendu comme bien national, en 1790. Un décrêt impérial du 9 avril 1811 confirma l’acquisition du palais épiscopal par le département. Ce n’est que le 12 septembre 1822 que le département rendit le palais à son évêque tout en restant propriétaire des lieux. Le préfet trouva refuge à l’hôtel Lenormand d’Ayssènes en 1823, siège de la préfecture jusqu’à nos jours.

La même année, les neuf Districts cédèrent la place à cinq arrondissements. Espalion tenait sa revanche et fut désigné aux côtés de Rodez, Villefranche, Millau et Saint-Affrique. De 81 cantons, on passa à 42. Le nombre des communes fut aussi ramené à 300.

Le 4 décembre 1808, pour permettre la création du département du Tarn-et-Garonne, l’Aveyron fut amputé des trois cantons de Saint-Antonin, Parisot et Varen. Le cinquième département français revendiquait désormais une superficie de 877 113 hectares.

Des aménagements permanents

La Monarchie de Juillet instaura en 1833 l’élection des conseillers généraux dont les pouvoirs furent tour à tour étendus en 1838, 1866 et 1871 tandis que la seconde République, en 1848, instituait le suffrage universel dans chaque canton.

En 1999, le département compte 263 808 habitants, répartis en trois arrondissements, 46 cantons et 304 communes. Un dernier changement, controversé, était intervenu en 1926 au niveau des arrondissements, les sous-préfectures de Saint-Affrique et d’Espalion étant supprimées.

Who’s who préfectoral

Il en est des préfets comme des hommes politiques ou des artistes. Certains ont laissé dans le département la marque indélébile de leur personnalité et de leurs actions ; d’autres, au contraire, sont passés presque inaperçus soit parce que leur temps de présence fut très court soit parce qu’ils n’entreprirent rien de marquant. Voici en quelques lignes le who’s who des préfets les plus remarqués de l’Aveyron.

Sainthorent restera comme le premier préfet de l’Aveyron, arrivé à Rodez le 27 mars 1800. Le 12 juillet 1815, il fut remplacé par le préfet d’Estourmel. Les trois années qu’il passa à Rodez furent d’une rare efficacité. Joseph d’Estourmel instaura la vaccination contre la petite vérole, créa quatre ateliers de charité, employa près de 600 ouvriers à la construction de la route de Rodez à Villefranche par Rignac avant de donner du travail aux pauvres du chef-lieu, embauchés pour combler les fossés des remparts depuis l’évêché jusqu’au grand séminaire, mettant en place le grand boulevard qui, de son vivant, allait porter son nom.

Louis de Guizard détient, avec Jean Moulin, le rare privilège d’avoir été par deux fois nommé préfet de l’Aveyron, de 1830 à 1834 d’abord puis de 1839 à 1848, date de l’effondrement de la monarchie de Juillet. C’est à cet homme d’action que l’on doit la construction du palais de justice et, malheureusement, la destruction du couvent des Cordeliers.

Le 5 septembre 1870, Louis Oustry était nommé préfet de l’Aveyron après l’effondrement du second Empire. Il devait cette récompense tant à son talent qu’à ses convictions républicaines auxquelles il n’avait jamais dérogé, même durant son exil algérien.

La ronde des préfets, souvent en poste pour une durée inférieure à deux ans, se poursuivra tout au long du XXe siècle. Quarante-sept préfets se succèderont à Rodez de 1900 à nos jours. Quatre noms ressortent de cette liste : la figure emblématique de Jean Moulin, nommé préfet de l’Aveyron à deux reprises, de mars à juin 1937 puis de 1938 à 1939 ; le passage du préfet vichyste Marion, zélé collaborateur de l’occupant nazi et la fin tragique du préfet Dupiech, arrêté par la Gestapo, déporté à Neungamme puis victime d’un bombardement américain alors qu’il était transporté dans un bateau sur la mer Baltique ; enfin, comment ne pas mettre en exergue le nom de la première préfète de l’Aveyron, Anne-Marie Escoffier, dont l’action sur le terrain et la parfaite connaissance des dossiers furent remarquables.

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