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Anthelme Mangin. La mémoire perdue de 14-18

Parmi toutes les histoires que la guerre de 14-18 engendre, il en est une qui passionne la France de l’entre-deux-guerres. Tout commence le 1er février 1918, quand un soldat, air hagard et vêtements en haillons, fraîchement débarqué d’un train de prisonniers invalides de guerre, est retrouvé errant sur le quai de la gare des Brotteaux, à Lyon. Sans mémoire, il répète sans cesse : « Mangin » sans que ce soit son nom. D’abord hospitalisé à Bron puis à Clermont-Ferrand, l’homme est reconnu non-dissimulateur par les autorités médicales.

La paix revenue, le ministère de la Guerre doit régler le sort de plusieurs soldats amnésiques. Leurs photos et quelques renseignements sont publiés par les journaux. Des bouteilles à la mer qui permettent de retrouver leurs familles. Sauf pour l’un d’eux : Mangin ! qui demeure à  l’asile de Clermont-Ferrand en attendant que…

Début 1920, le ministère de la Guerre lance un nouvel appel dans la presse. Qui reconnaîtra ce soldat d’infanterie, mesurant 1,64 m, roux foncé, d’environ 30 ans, de bonne instruction primaire ? C’est alors qu’un courrier parvient de Rodez, émanant de la famille Mazenq-Vayssettes, qui a reconnu en Mangin le fils parti à la guerre et qui n’en est jamais revenu. La ressemblance n’est pas évidente, des éléments divergent mais comme seule cette famille le demande, direction l’asile d’aliénés de la cité ruthénoise. Très vite, le directeur de l’asile, le docteur Fenayrou, se rend compte de la méprise et refuse de se prononcer en leur faveur. Qu’à cela ne tienne ! Une seconde campagne d’affichage est lancée dans la presse. Et cette fois, des centaines et des centaines de lettres parviennent à l’asile de Rodez. Devant cet afflux, le directeur en sélectionne trois cents puis cinquante. La rencontre avec l’ensemble des familles, ce jour-là, est terrible. Mangin se réfugie dans son silence tandis que chacune croit reconnaître en lui, un père, un mari, un frère.

D’études graphologiques en relevés anthropométriques et en batailles d’experts, le mystère ne cesse de s’épaissir. Les mois passent, les années. Celui que l’on nomme désormais l’amnésique de Rodez attend toujours qu’on veuille bien décider de son sort. Onze familles, parmi les plus crédibles, persistent dans leur demande, se disputant la propriété du soldat inconnu vivant. Jusque devant le tribunal de Rodez. Mme Mazenq lui rend visite chaque jour. La mémé Mazat, venue s’installer à Rodez depuis sa Corrèze natale, après avoir vendu sa ferme, ses champs et ses meubles, croit reconnaître son fils. En 1927, entre en scène la veuve Lemay. Commerçante à Coulonges-sur-Lautize (Deux-Sèvres), elle débarque à l’asile d’aliénés, certaine d’avoir reconnu son mari Marcel Lemay, disparu dans les durs combats de septembre 1914. Treize années ont passé mais elle garde toujours dans son cœur ce petit coin d’espoir de le revoir vivant. Mais face à elle, Anthelme Mangin reste indifférent aux photos et aux souvenirs qu’elle lui présente. Malgré des points de convergence, elle non plus n’obtient pas gain de cause.

Nous sommes en 1930. Dix années se sont écoulées durant lesquelles le cas de Mangin est devenu une affaire nationale, inspirant journalistes et écrivains. Jean Anouilh, notamment, suit son histoire pour écrire « Le voyageur sans bagages ». L’asile reçoit alors une lettre de l’Indre, signée de la famille Monjoin. Désigné par le conseil de famille, le fils aîné descend à Rodez mais ne reconnaît pas son frère. Le père décide lui-même de faire le voyage et tombe dans les bras de ce fils qui a bien changé : « moins de cheveux, plus maigre et plus jaune ». Surtout, leur dossier fournit des éléments précis et concordants. Et c’est bien la première fois !

Pris à Blamont (Meurthe), le soldat Monjoin avait été soigné à l’hôpital bavarois de campagne 8/I.A.K. ; ensuite à l’hôpital bavarois de Domène, du 23 au 25 août pour une fracture de la cuisse faite en tombant d’un mur. De là, Octave Monjoin est acheminé via Rastadt sur le camp de Darmstadt où il appartient au 5e bataillon de la 19e compagnie de prisonniers. Du camp de Hameln numéro de matricule 13 391, Octave Monjoin fut évacué sur l’hôpital de prisonniers X.A.K. de cette ville, de là au camp de Vechta, du 20 juin 1917 au 26 janvier 1918. Là, il fut mis en observation car, depuis quelque temps, le soldat Monjoin présentait des signes évidents de démence précoce.

Les médecins allemands, qui avaient reconnu la gravité de son état, l’avaient fait évacuer par la Suisse, le 31 janvier 1918, par train, avec d’autres prisonniers, la veille du jour où Mangin débarque sans bagages sur le quai de la gare des Brotteaux.

Décision est alors prise de confronter Mangin avec son lieu d’origine, Saint-Maur. Le jour de son arrivée, médecins et infirmiers le déposent à l’entrée du village, lui signifiant de déambuler à sa guise dans les rues du village. De derrière les fenêtres, la population suit son parcours avec attention jusqu’au moment où il se décide à entrer dans une maison. L’incroyable vient de se produire. La demeure n’est autre que celle des Monjoin. La cause semble entendue ! Cette fois, le docteur Fenayrou croît tenir la bonne famille. Mais c’est sans compter sur toutes celles qui depuis des années se battent pour le récupérer.

En 1934, le docteur Fenayrou quitte l’asile pour prendre sa retraite, laissant sa place à une jeune confrère qui ne réussira pas plus, malgré plusieurs essais médicaux, à sortir Mangin de son silence. Pas plus d’ailleurs que les expertises qui ne fournissent aucun résultat notable. Surtout, l’affaire prend définitivement un tour juridique quand les familles restantes s’opposent devant le tribunal civil de Rodez qui rend son jugement le 12 novembre 1937 en faveur des Monjoin, la cour d’appel de Montpellier confirmant ce jugement le 11 mars 1939.

Mais Mangin-Monjoin ne réintègrera jamais le village de Saint-Maur, sa parenté décédant coup sur coup en 1939. Confié à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, il y décède le 28 août 1942, emportant son mystère. Sauf que l’histoire rebondit quand son corps est exhumé de la fosse commune de l’hôpital pour être enterré dans le caveau des Monjoin, à Saint-Maur, le 2 avril 1948, après qu’un négociant en bois de Reims se soit ému de son sort.

A lire :

COSSON, Jean-Michel, L’Amnésique des tranchées. L’incroyable énigme d’Anthelme Mangin, De Borée, 2014

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