De Paul-Lignon à Louis Polonia, histoire des noms de stade à Rodez
Des champs de jeu…
Au tout début du XXe siècle, pour assurer une pérennité au jeu, joueurs et dirigeants se mettent, d’emblée, en quête d’aires de jeu susceptibles de les accueillir. Trouver un terrain d’entraînement n’est pas chose facile. Les demandes se heurtent bien souvent à la méfiance des municipalités, peu enclines à desserrer les cordons de la bourse pour quelques « originaux », et aux refus catégoriques des propriétaires de louer leurs terrains, traditionnellement réservés aux travaux agricoles. Il faut donc user de persuasion et faire jouer ses relations pour parvenir à des solutions, toujours très provisoires.
Bien sûr, les premiers joueurs ne sont pas trop regardants sur la qualité des terrains accordés. Si l’hiver les transforme plus d’une fois en bourbier, l’été se charge de les rendre durs comme le roc. Les faux rebonds font aussi partie du jeu. Mais qui s’en plaindra ! L’essentiel n’est-il pas de jouer ?
Avant-guerre, grâce au terrain d’entraînement du foiral, propriété du 122e R.I., les sportmen ruthénois peuvent se défouler, ballon en main, sans le souci d’une expulsion. Mais la terre battue ne convient guère à la pratique du football-rugby. Joueurs et dirigeants reportent alors leurs espoirs sur la société de gymnastique, La Ruthénoise, propriétaire d’un terrain à la Vieille Gare. Mais cette aire, idéale en été, devient impraticable en hiver, sans parler des odeurs nauséabondes, émanant des égouts de la ville qui la longent.
En décembre 1912, grâce à l’appui du 122e R.I. et du très sportif colonel Escudier, les sociétés sportives ruthénoises prennent enfin possession d’un terrain, sur la route de Villefranche, face à l’usine Saint-Félix. Un escalier aux larges marches et un pont, jeté sur l’Auterne par les militaires, permettent au public d’accéder à ce terrain avec plus de commodité. Seul inconvénient : l’éloignement du centre-ville.
Cependant, les sportifs ne perdent pas de vue, qu’à portée de fusil de la cathédrale, la belle pelouse des Haras offre un magnifique terrain de jeu, propice aux plus belles envolées. Chacun a encore en tête ce fameux match ayant opposé, en 1912, le Stade Ruthénois rugby au champion de France, Toulouse. Ce fut alors le seul écart que se permit l’administration des Haras. Encore les dirigeants s’étaient-ils vus interdire de toucher aux merveilles végétales du sacro-saint lieu. Ce qui laissa perplexe le célèbre demi de mêlée toulousain, Maysonnié, contraint, plus d’une fois, de feinter… une terrible sapinette, plantée là, au milieu du « ground ».
…Au parc des sports
Mis en sommeil pendant la guerre, le projet d’un terrain de sport se repose à Rodez, dès lors que les sports collectifs retrouvent un second souffle. L’armée, qui encourage chaudement toutes les initiatives, entreprend bien, sous les ordres du commandant Michel, de transformer l’esplanade du foiral en parc des sports. Une piste en cendrée, un portique et un terrain de basket-ball voient même rapidement le jour. Mais le projet n’ira pas à son terme, le commandant Michel ayant, entretemps, été muté.
Les dirigeants du Stade Ruthénois, appuyés par le maire, Eugène Raynaldy, reprennent alors l’idée d’installer un terrain de sport dans le parc des Haras. Des démarches sont entreprises. Convaincu, cette fois, du bien-fondé de la demande, le ministère de l’Agriculture accepte le prêt du terrain, « à titre précaire et révocable à n’importe quel moment si les besoins du service des haras venaient à l’exiger ou si le Stade Ruthénois enfreignait les conditions d’utilisation ».
C’est ainsi qu’en novembre 1923, joueurs et dirigeants du Stade Ruthénois omnisports pénètrent dans la citadelle inviolée, dans ce parc des Haras que depuis si longtemps les sportmen ruthénois contemplaient, avec envie, derrière ses hautes grilles.
Pendant des années, joueurs, dirigeants et conseil municipal vont aménager le Parc des Sports des Haras, sans tenir compte de la clause du Ministère. C’est alors que la municipalité étudie le projet de réaliser douches, vestiaires et terrains de tennis qu’un coup de théâtre éclate, en 1934, sous la forme d’un ultimatum du ministère de l’Agriculture. Ordre est donné au Stade Ruthénois de libérer la place dans les plus brefs délais, les Haras désirant récupérer le terrain. Panique parmi les sportifs ruthénois ! Intervention d’Eugène Raynaldy auprès du ministre Queuille, qui décide de repousser l’échéance jusqu’en 1938, en accord avec le Conseil général, propriétaire des lieux. L’expulsion a été évitée de justesse. Mais, pour la municipalité ruthénoise, il est urgent d’acquérir définitivement le terrain pour éviter que le problème se renouvelle. Achat qui intervient, en 1937, pour la somme de 100 000 F, à charge pour la ville d’aménager quelques parties vétustes.
Paul Lignon : un destin tragique
Tout joueur ou supporter aveyronnais qui se respecte a un jour ou l’autre pénétré dans l’enceinte du stade Paul-Lignon, sanctuaire sportif qui, du fond de l’avenue Victor-Hugo, fait la nique à la cathédrale de Rodez. Bien peu, cependant, saurait mettre un visage et une carrière sur l’illustre méconnu qui lui a donné son nom.
Rejeton d’une famille ruthénoise habitant le quartier de la Boule d’Or, Paul Lignon naît le 9 mars 1909. Tout jeune, il se pique au jeu du ballon ovale sous le maillot du Stade Ruthénois. Parallèlement à une carrière professionnelle d’adjoint technique aux Ponts et Chaussées, il anime, de 1928 à 1939, les lignes arrières du quinze ruthénois, apportant dans la pratique de ce sport sa science et toute son ardeur.
« Que de fois avons-nous vu la foule se lever dans les tribunes pour applaudir l’arrière du stade fonçant, dans son style particulier, au milieu des adversaires après s’être emparé du ballon. Mais ce qui était surtout apprécié chez Lignon c’était sa loyauté, sa modestie. Ce joueur qui luttait jusqu’au bout avec courage, savait s’incliner devant la défaite et rendre hommage à la valeur de l’adversaire, il acceptait timidement les ovations qui saluaient ses exploits et reportait sur ses camarades tout le mérite de la victoire. Aussi, Paul Lignon ne comptait que des amis parmi ses coéquipiers et parmi ses adversaires qui reconnaissaient sa valeur et louaient son jeu franc et loyal. »
Mobilisé dès les premiers jours de la guerre, Paul Lignon, sergent au 5e R.I. coloniale, succombera dans les combats de Oches (Ardennes), le 23 mai 1940. Il n’avait que trente et un ans.
A l’issue de la guerre, ses anciens camarades, joueurs, dirigeants et supporters proposeront à la ville de Rodez, propriétaire des lieux, de donner le nom de Paul Lignon à l’enceinte sportive appelée Parc des Haras. En décembre 1944, Charles Grimal, ancien joueur de Millau, qui tenait la rubrique sportive du tout nouveau Rouergue Républicain, relaiera cette idée par voie de presse. Essai bientôt transformé quand, sur proposition du président du Stade Ruthénois rugby, M. Alquier, le conseil municipal de Rodez, réuni dans sa séance du 2 février 1945, acceptera à l’unanimité de donner le nom de Paul Lignon à l’enceinte sportive où, quelques années plus tôt, il avait accompli tant d’exploits sportifs.
Louis Polonia, le footballeur exemplaire
Louis Polonia, débute en 1952, âgé de 17 ans, dans l’équipe première du Stade Ruthénois football, qui vient d’accéder, pour la première fois de son histoire, au championnat de France amateurs.
Malgré son manque d’expérience et sa taille moyenne (1 m 72), Louis Polonia s’impose déjà comme un joueur de tout premier plan. La chance veut aussi qu’il évolue dans une formation qui tient le haut du pavé dans le difficile championnat amateur, fabuleux réservoir pour les équipes professionnelles, toujours à la recherche de l’oiseau rare à une époque où les centres de formation n’existent pas.
Alors qu’il dispute avec Rodez une rencontre en lever de rideau de Limoges-Lens, Louis Polonia est contacté par le Lensois Henri Trannin, qui lui propose de venir tenter la grande aventure du professionnalisme dans le club artésien, où il aura la tâche de compenser le départ de Fiorzi, muté à Bordeaux. A 24 ans, Polonia accepte. Mais il pose des conditions à sa venue, reflet d’un homme à la fois rigoureux dans son métier de footballeur et soucieux de son avenir. Lens devra le laisser à disposition de l’équipe de France amateurs en cas de qualification pour les J.O. de Rome. Le club lui accordera toute liberté pour se préparer à la profession d’expert-comptable. Il pourra, d’autre part, être dégagé de toute obligation avec le club, au plus tard à la fin de la saison 66-67, pour lui permettre de se reconvertir. Un contrat à temps avant l’heure !
Malgré le climat, Louis Polonia s’adapte parfaitement au R.C. Lens dont les couleurs Sang et Or lui rappellent celles du Rodez. Titulaire au poste d’arrière droit où la qualité de ses tacles de face fait merveille, il côtoie les Bourrier, Courtin, Wisnieski, Sowinski, Oudjani, Lech et Sénac avec lesquels il remporte trois coupes Drago et une coupe de l’Amitié, compétition Franco-Italo-Suisse.
Dans ce pays de mines, où l’on aime les joueurs qui mouillent le maillot et où le prix de la sueur a une grande valeur, l’abnégation, la discrétion et la conscience professionnelle de Polonia sont unanimement appréciées. Une grande régularité dans les performances fait aussi de l’ex-Ruthénois, un titulaire indiscutable de l’équipe de France amateurs, avec Artélésa, Loncle, Samoy…
En 1960 s’ouvrent les Jeux Olympiques de Rome pour lesquels l’équipe de France se trouve qualifiée. Après une victoire contre le Pérou (2-1), la France concède le nul contre l’Inde (1-1) avant de subir une défaite humiliante contre les Hongrois (7-0). Polonia dispute les trois rencontres mais, lors du dernier match, il se claque après dix minutes de jeu, laissant ses coéquipiers joués à dix.
Retenu une dizaine de fois dans les rangs des Olympiques, puis en France B, Louis Polonia se trouve barré, en sélection nationale, par l’interminable carrière de l’inusable Roger Marche.
En 1966, (il a 31 ans), Polonia décide de redescendre vers le Midi, diplôme d’expert-comptable en poche. Un temps, il pense regagner Rodez où on lui propose une place de joueur-entraîneur. Mais l’affaire ne se fait pas. Profitant d’une opportunité professionnelle pour s’installer, Louis Polonia signe à l’A.S. Béziers, qui tente alors de retrouver une place en Division I, puis il rejoint le F.C. Sète où il évolue deux années. C’est au cours de la saison 68-69 qu’il retrouve le stade Paul-Lignon de ses débuts. Rodez, sous la férule d’Ernest Vaast, vient alors de remonter en C.F.A. Ce jour-là, Louis Polonia a toutes les peines du monde à contenir l’ailier – T.G.V. du Stade, Rouquette. « Je ne voulais pas faire trop de misère à mon ancien club », avoue-t-il aujourd’hui, avec un petit sourire qui démontre, si besoin était, sa reconnaissance pour le club qui l’avait formé et qui lui avait donné, très jeune, sa chance.
Aujourd’hui, le tout neuf stade du quartier Saint-Eloi porte le nom de Louis Polonia, inauguré en présence de son épouse, de sa fille et de sa famille à laquelle s’étaient joints tous les anciens du Stade de cette époque (Rodriguez, Abella, Cassan, Fabre, Grézik, Devèze…) lesquels, à travers leur ami Louis Polonia, décédé en 2005, se reconnaissent dans cette dénomination.
Je terminerai en évoquant mon père qui fut un partenaire de Louis Polonia et dont les souvenirs m’ont permis d’écrire ce texte et de fournir les photos.
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