Explosions en série. Lille. Saint-Martin de Crau. Grenoble. Brest. 1916-1918 et 1943-1944
Lille. 11 janvier 1916
Vingt millions de morts pour la Première Guerre mondiale. Entre cinquante et soixante millions pour la Seconde. Le bilan humain des deux guerres est terrible, touchant aussi bien les militaires que les civils. Comparé, le bilan des quatre explosions des dépôts de munitions qui endeuillent la France durant ces deux périodes paraît bien dérisoire. A peine, si on peut dire, mille victimes dont les deux tiers à Brest.
En 1916, Lille est occupée depuis 1914 par les troupes allemandes, à quelques kilomètres seulement du front. Raison pour laquelle les autorités militaires du Reich ont installé dans la ville, dorénavant appelée Ryssel, le plus gros dépôt allemand du front ouest. Le dépôt des Dix-huit Ponts, qui correspond au nombre d’arches de cette forteresse, se situe dans le quartier populaire des Moulins. Depuis le début de l’occupation allemande, le nombre d’habitants a chuté de 220 000 à 116 000.
En pleine nuit, vers 3h30 du matin, le 11 janvier 1916, le quartier des Moulins est secoué par une terrible explosion. Les habitants réveillés en sursaut croient d’abord à un bombardement. Mais bien vite, la réalité est toute autre. Le dépôt des Dix-huit Ponts est en flamme. Tout autour, le souffle de l’explosion a ravagé bâtiments, maisons, usines et entrepôts. Le quartier n’est plus qu’effroi et désolation. Comme le révèle l’abbé Demarchelier : « Les maisons tremblèrent, les portes s’ouvrirent, les vitres se brisèrent avec fracas, les tuiles et les ardoises dégringolèrent des toits. Un vent violent comme un cyclone passa à travers la ville. »
A la place du dépôt ne demeure désormais qu’un cratère de 150 mètres de diamètre et de 30 mètres de profondeur. On apprendra plus tard que la détonation a été entendue jusqu’à Bruxelles et au centre des Pays-Bas. Les jours suivants, le bilan humain s’alourdit. Des corps sont sortis des décombres. Le journaliste Eugène Martin-Mamy écrit : « Comme dans L’Enfer de Dante, chaque mètre parcouru vous pousse vers de nouvelles horreurs. De l’amas de briques, une jambe nue, tuméfiée, saignante, raide, surgit soudain… » On comptera 104 à 106 victimes et près de 400 blessés. Le quartier des Moulins est quasiment anéanti. 21 usines sont détruites ou endommagées. 738 maisons sont rasées. Des milliers sont endommagés.
Aujourd’hui, les causes de l’explosion restent incertaines. Sabotage ? Bombardement ? Erreur humaine ou simplement mauvaise qualité des poudres, sachant que le dépôt contenait 500 tonnes de mélinite, un composé chimique très instable qui risque d’exploser s’il se dessèche.
Beaussenq. 3 juin 1918
Deux ans plus tard, cette fois loin du front, sur la commune de Saint-Martin de Crau, c’est le parc d’explosifs de Beaussenq, dépendant de la Poudrerie nationale de Saint-Chamas, qui saute. Il est 16h30, ce 3 juin 1918, quand retentit une formidable explosion. La détonation est telle qu’elle brise les vitres de bâtiments à Marseille et endommage l’église d’Istres. A leur arrivée, les secours découvrent une vision d’apocalypse. Il ne reste plus rien des 50 magasins d’explosifs contenant 900 tonnes de poudre. Plus rien du train et des soixante-dix wagons chargés de 700 tonnes d’explosifs. Si ce n’est un monticule de terre de quatre mètres de haut et de nombreux cratères qui parsèment la voie ferrée sur sept cents mètres. Le journal Le Temps évoque dans ses colonnes la catastrophe : « La commotion fut telle que l’on crût à un tremblement de terre… Tout le personnel militaire et civil a fait preuve, dans ses circonstances, d’un courage parfait, se portant au secours des victimes malgré le danger que pouvaient faire courir les brasiers non éteints avoisinant les munitions. »
Le bilan humain est tout aussi horrible. 200 soldats périssent dans l’explosion, principalement des tirailleurs marocains, des soldats des régiments territoriaux et du 7ème génie d’Avignon. La catastrophe se serait produite lors d’un chargement d’un train de munitions ou lors de la chute d’un fût d’explosifs chlorates.
Grenoble. 29 juin 1918
Le même mois, mais cette fois à Grenoble, des déflagrations en chaîne jettent la panique au sein de la population. C’est que le Parc d’artillerie conserve une quantité d’explosifs, de bombes et de poudre capable d’anéantir la ville entière. Il est 15 heures, cet après-midi-là, quand une première explosion suivie d’un long panache de fumée noire secoue la ville. Vitres brisées. Cloisons enfoncées. Toitures qui dégringolent. Pour les Grenoblois, pas de doute. C’est le Polygone qui explose. Il faut fuir ! Quitter ce qui peut devenir un enfer ! La peur grandit quand une seconde explosion ébranle la cité, jusqu’à huit à dix kilomètres alentour. Un véritable feu d’artifice qui dure jusqu’à 23h30, laissant sur les lieux de l’explosion des cratères béants.
Depuis plusieurs semaines, la municipalité grenobloise s’inquiétait auprès des autorités militaires de la présence de stocks trop importants de bombes et d’explosifs au nord de la ville. Qui avaient répondu qu’une partie serait déplacée à quatre kilomètres dans un lieu plus isolé. Trop tard ! Le drame tant redouté venait de se produire. Mais, par miracle, la série d’explosions qui aurait pu faire des milliers de morts n’en fit… qu’un !
L’incident fut mis sur le compte d’une erreur humaine. De la poudre, tombée d’un tonneau en déchargement, s’enflamma au contact d’une étincelle, la trainée se propageant de dépôt en dépôt de munitions.
Grenoble. 14 novembre et 2 décembre 1943
Malgré les années d’Occupation, le 11 novembre est resté une date symbolique pour ceux et celles qui veulent défier les Nazis. Aussi, malgré l’interdiction, des défilés sont organisés dans plusieurs villes françaises, comme à Grenoble. La répression est terrible : 369 Isérois sont arrêtés puis déportés. Trois jours plus tard, le 14 novembre, la Résistance répond aux représailles en faisant sauter le Parc d’artillerie du Polygone.
Le capitaine Louis Nal et l’adjudant-chef Aimé Requet, militaires de carrière, sont affectés dans l’armée d’armistice au Parc d’artillerie. Mais bien vite, ils rejoignent l’Organisation de la Résistance Armée (O.R.A.), section du Camouflage du matériel. Au Polygone sont stockées 150 tonnes de munitions et près de 1000 tonnes de matériel militaire. Le 13 novembre, en milieu d’après-midi, Louis Nal, affaibli par la tuberculose, demande à son épouse d’apporter à Aimé Requet les crayons allumeurs. Placés dans les caisses de poudre et de munitions, ils explosent à 0 heure 40, suivis durant trois heures d’une série de déflagrations, entendue jusqu’à cinquante kilomètres à la ronde, détruisant les logements voisins et brisant les vitres d’une partie de la ville. Les explosions font sortir les habitants dans les rues. Les Allemands n’hésitent pas à tirer. Six victimes sont relevées. La répression est plus féroce encore quand, entre le 20 et le 25 novembre, les Résistants emprisonnés à Grenoble sont assassinés.
Quelques jours plus tard, le 2 décembre, la caserne Bonne où sont stockées des munitions, explose à son tour à 8 heures 10 du matin, ravageant tout le quartier, faisant dix morts et 200 blessés. Piloté par Louis Nal et Aimé Requet, l’attentat est réalisé par un soldat polonais engagé de force, Aloyzy Kospicki.
Un double défi de la Résistance qui se concrétisera par la libération de Grenoble, le 22 août 1944.
Brest. 09 septembre 1944
Début septembre 1944. Les troupes américaines du général Patton sont aux portes de Brest, la dernière grande ville bretonne à être encore entre les mains des troupes allemandes qui refusent de se rendre. La prise de Brest est d’une importance cruciale du fait de la présence de la base sous-marine. Les bombardements sont quotidiens, mettant à mal la population brestoise qui tente par tous les moyens de se protéger. Les autorités françaises, notamment, ont obtenu du général allemand Ramcke le droit pour les civils d’occuper la moitié de l’abri Sadi-Carnot, un dépôt de munitions creusé en plein cœur de la ville de 1941 à 1942, l’autre moitié étant occupée par les troupes d’occupation. Le 3 septembre 1944 se retrouvent dans cet abri du personnel municipal, du service sanitaire, des religieuses, des membres du Secours national et de la Défense passive. Près de 400 personnes auxquelles s’ajoutent 5 à 600 soldats allemands de l’organisation Todt. Un abri qui, ce jour-là, se transforme en enfer quand, vers 2h30 du matin, les caisses de munitions et l’essence entreposées dans l’abri occupé par les civils explosent. Des flammes s’élèvent à trente mètres au-dessus de l’entrée. 371 Français sont pris au piège. 5 à 600 soldats allemands. Les premiers secours à pénétrer dans l’abri découvrent, dans une odeur de chair brûlée, un amas de cadavres entassés sur 1,50 mètre. Le sapeur-pompier Roland André raconte : « Un malheureux étendu sur son lit fût entièrement déshydraté et réduit à l’état de “momie” tant la chaleur fut élevée. Partout des faces grimaçantes et des corps rétrécis. Hommes, femmes, enfants. Je ferme les yeux devant cette vision d’enfer et d’horreur. »
La cause ne sera jamais clairement établie : Une cigarette mal éteinte ; une altercation entre soldats allemands ou un incendie causé par un soldat chargé de l’alimentation du groupe électrogène ? Le témoignage du directeur des Halles et Marchés de Brest, consigné dans un procès-verbal, permet de comprendre les premiers instants du drame : « Mon lit était placé près de l’alvéole des “wc”, c’est-à-dire à une trentaine de mètres du bas de l’escalier. A 23 heures, on éteignit l’électricité qui était fournie par un groupe électrogène situé au 2ème palier. A minuit, contrairement à l’habitude, l’électricité revint. Je vis alors l’électricien allemand qui s’occupait du moteur, se diriger vers l’abri des “Todt”, suivi d’un parachutiste. Tous deux eurent une violente altercation à la suite de quoi l’électricien nous donna à comprendre que les parachutistes voulaient les mettre hors de l’abri, eux, les “Todt” ainsi d’ailleurs que les civils Français.
Vers 1 heure du matin, j’ai entendu de la musique provenant de l’abri des Allemands. Vers 1 heure 45 ou 2 heures, j’entendis le bruit d’une forte discussion dans l’abri réservé aux Allemands. Quelques instants après, quelques militaires “Todt” passèrent devant mon lit, en se dirigeant vers l’escalier de la place Carnot. Leur allure n’était pas précipitée et ils ne disaient rien. Presque aussitôt la fumée fit son apparition à la hauteur de mon lit. Je me suis alors levé, je me suis habillé rapidement, j’ai pris avec moi quelques affaires et certains documents administratifs et, à mon tour, je me suis dirigé vers l’escalier. Il n’y avait aucune panique ; les gens rassemblaient leurs affaires et s’habillaient en vue de quitter l’abri. Chacun sentait que la situation était critique mais croyait avoir le temps de se tirer d’affaire.
La fumée devenait de plus en plus épaisse et brûlante et rendait encore plus pénible l’ascension des quelques 154 marches de l’escalier. Nous suffoquions. Une personne qui marchait devant moi tombe d’épuisement. Moi-même, à un certain moment, je sentis mes forces m’abandonner. J’avais un peu dépassé le 2ème palier lorsque l’électricité s’est éteinte. Lorsque je suis arrivé à la grille de fermeture, celle-ci était fermée. Quelques femmes poussaient et criaient : “Ouvrez la porte !”. A ce moment, il n’y avait encore eu aucune explosion. Nous étions tous abrutis par la fumée et personne n’eut la présence d’esprit de tirer sur la grille au lieu de la pousser. Cette grille ne s’ouvrait que du côté intérieur car les constructeurs n’avaient évidemment pas prévu une panique de gens voulant “sortir”.
C’est à ce moment que la première explosion se produisit. Je me suis senti soulevé, je ressentis un choc violent à la tête (par bonheur, j’avais un casque) et je fus projeté dehors, la grille s’étant ouverte sous la déflagration.
Je ne saurais expliquer les causes de cette catastrophe, ni émettre une idée sur la provenance de la fumée apparue avant la première explosion. »
Il faudra ensuite un long processus d’identification pour recenser toutes les victimes.
Dix jours après le drame, soit après quarante-trois jours de siège, les troupes du général Patton parviennent par pénétrer dans Brest après la reddition des Allemands.
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