Henri Cot, l’homme qui avait trop grandi
« Approchez, approchez ! ! Mesdames et messieurs ! Approchez ! Venez admirer le sensationnel géant Cot ! 2,30 m de hauteur ! Venez voir ses mains, venez voir ses pieds ! »
C’est par ces mots qu’au début du mois de septembre 1905, le portier du théâtre municipal de Rodez interpelle le chaland ruthénois, attiré par les affiches racoleuses distribuées un peu partout dans la ville.
Ce n’est pas tous les jours en effet que le public peut approcher l’un des plus grands hommes de la Terre, fort de ses 160 kilos et qui, pour être l’homme le plus simple du monde, vous toisez tout de même de toute sa hauteur. Il en coûtait aux amateurs de sensations fortes un droit d’entrée de 0,20 à 0,30 F pour l’admirer sur scène, plus cher encore pour se faire photographier en sa compagnie. Le département fut le premier à découvrir Henri Cot. Quoi de plus normal ! Notre géant était aveyronnais.
Henri Cot naît le 27 avril 1883 au hameau du Cros, sur la commune de Mounès-Prohencoux, canton de Belmont-sur-Rance. Il est le dernier rejeton d’une famille de six enfants. Ses parents, agriculteurs, n’ont rien de géants. Le père mesure 1,53 m et la mère, 1,56 m. Quant aux cinq frères et sœurs, aucun ne dépasse la taille de 1,65 m. A l’âge de huit ans, le petit Henri mesure déjà 1,50 m, dépassant d’une bonne tête ses camarades de classe. D’une année sur l’autre, il accumule les centimètres : 1,70 m à douze ans, 1,95 m à seize ans, 2,28 m à vingt ans. Seuls ses grands-parents sont de haute taille, quoiqu’ils eussent paru des nains à côté de leur… petit-fils.
Un tel phénomène, bien entendu, ne passe pas inaperçu dans le canton. A l’occasion des fêtes et des foires, son gigantisme est un objet de curiosité. Henri Cot ne s’en offusque guère. Juché sur un âne, il pénètre dans les villages entouré de bandes de gamins hilares mais malgré tout impressionnés par sa taille. Cultivant sa différence, il fait profiter les enfants de ses mensurations exceptionnelles et bien vite, il devient un objet de jeu. Au milieu de la rue, il écarte ses longues jambes sous lesquelles les gosses effectuent une ronde endiablée. Les plus grands, parfois, lui font quelques farces, ce qui a le don de l’exaspérer. Cependant, dans l’ensemble, on le respecte comme une sorte de héros local auquel Dieu a donné, dans sa grande bonté, une corpulence exceptionnelle. Enfin, quand les gamins deviennent trop encombrants, il se dirige vers l’auberge où il aime bien « chopiner ». Il faut alors le voir au milieu de la foule, dominant tout le monde d’un bon mètre. Une scène, parmi tant d’autres, est des plus cocasses. Surplombant un magasin de Camarès où il a l’habitude de se rendre, existe un petit balcon. A la grande joie des passants, il arrive à Henri Cot de tendre ses grands bras et de serrer la main aux personnes perchées dessus.
Objet de curiosité, sa taille représente un handicap dans tous les domaines de la vie quotidienne. Les portes et les plafonds deviennent trop bas pour sa grande carcasse. En position assise, deux chaises lui sont nécessaires. Quant aux vêtements, point n’est besoin de préciser qu’il se les fait tailler sur mesure. Par bonheur, couturiers et cordonniers n’ont pas encore déserté nos campagnes. Son 62 de pointure, notamment, est prodigieux. Il n’y a pas si longtemps, un cordonnier de Camarès possédait encore le moulage dans lequel étaient façonnées les chaussures du géant. Un docteur du même village, soucieux de son esthétique, lui a d’autre part aimablement fourni gibus, chemise au col cassé, cravate, pardessus d’époque très long croisé, gants et canne. C’est dans cette tenue d’apparat qu’il s’exhibe chaque fois que l’occasion se présente.
Henri Cot, du fait de sa taille, ne peut pas participer aux durs travaux des champs. Pour autant, il n’est pas question qu’il soit dispensé de toute activité. Il est mis en apprentissage chez un cordonnier.
Vient le jour où notre gaillard est convoqué au conseil de révision. Inutile de dire qu’à Saint-Affrique, Henri Cot ne passe pas inaperçu.
-Quel homme ! ne peut s’empêcher de s’écrier le major en voyant paraître devant lui ses 2,30 m.
L’officier de service à la taille doit monter sur une chaise pour mesurer les trente centimètres qui dépassent la toise de deux mètres. Les conscrits roulent des yeux ébahis devant son gigantisme. C’est parce qu’il est un phénomène que le médecin chef le réforme, ce qui n’empêche nullement le préfet de l’Aveyron, M. Rocault, présent à la cérémonie de clôture, de venir serrer la main au conscrit Henri Cot, accompagné des autorités civiles et militaires de la ville. On raconte même que cette sollicitude valut au préfet son avancement. Il y a des mauvaises langues partout ! Le correspondant de La Dépêche, qui tient son scoop, s’empresse de téléphoner la nouvelle aux journaux parisiens : « Le plus grand conscrit de France se nomme Cot, de Saint-Affrique ».
Les jours suivants, une troupe de photographes et de reporters débarque au hameau du Cros. Grisés par cette soudaine autant qu’étonnante célébrité, Henri Cot et ses parents se prêtent de bonne grâce aux interviews. Chacun y va de son petit couplet sur le dernier rejeton de la famille. Quelques sommités médicales, remontant la lignée, ajoutent leur grain de sel, arguant du fait qu’Henri Cot est le fruit conjugué d’un grand-père maternel et d’une grand-mère paternelle plus grands que la moyenne. Quelques jours plus tard, le portrait d’Henri Cot fait la une des faits divers. En habits du dimanche, chapeau haut de forme et cocarde de conscrit épinglée à la boutonnière, Henri Cot prend la pose au côté de quelques compatriotes en chapeaux mous, aux airs de lilliputiens ébahis.
La nouvelle ne manque pas de tomber dans les oreilles de quelques imprésario qui se disent que ma foi, il doit y avoir là, au fin fond de l’Aveyron, matière à tirer profit d’un tel phénomène dont le métier de cordonnier ne lui laisse guère de chance de quitter son Saint-Affricain natal et de mener une vie de patachon. Quant un nommé Souillau, imprésario de fêtes foraines et d’exhibitions en tout genre pose sur la table les cinq mille francs du contrat qui lui donne l’exclusivité de l’exhiber dans les spectacles à travers le Monde chacun, au Cros, ravale sa salive avant de donner son accord. Ce n’est pas tous les jours, en effet, que le destin vous apporte sur un plateau une somme aussi coquette.
Le sort d’Henri Cot est donc scellé : il sera phénomène. En bon Aveyronnais, chacun tope là, on sort les verres, une bonne bouteille et cochon qui s’en dédit…
L’homme le plus extraordinaire et le plus curieux de France commence sa tournée par la visite des grands quotidiens. Rien de tel, en effet, que des articles dithyrambiques pour vous asseoir une notoriété. Le Petit Marseillais et le Petit Provençal sont entre autres unanimes à reconnaître dans Henri Cot « le géant le plus parfait, le plus beau et le plus impressionnant à voir ».
Les salles n’ont plus qu’à bien se remplir. C’est chose faite à Rodez et dans le département où l’on se presse pour le voir. Viennent ensuite la province et Paris avant que notre globe-trotter, chaussant ses bottes de sept lieues, ne franchissent la Manche pour exhiber ses centimètres à Londres. Là, dans de petites baraques en toile ou en planches appelées « entresorts », côtoyant femme à barbe, homme-tronc ou tout autre phénomène, le bonimenteur n’hésite pas à mettre en exergue les mensurations atypiques d’Henri Cot. Le spectateur apprend ainsi qu’il chausse du 62, que la pointure de ses gants atteint le n° 15. Geste à l’appui, il fait passer librement une pièce de 0,10 F dans la bague de son annulaire tandis que son pouce couvre une pièce de 5 F. Enfin, tel un albatros pris par des marins sur le pont d’un navire (merci Baudelaire… !), Henri Cot écarte ses bras, développant une envergure de 2,33 m d’une main à l’autre. Le public, ravi, applaudit devant tous ces superlatifs tandis qu’Henri Cot regagne les coulisses en se disant que si la nature ne l’a pas forcément gâté, elle lui permet tout de même de voyager et de gagner sa vie.
Dans ce monde de l’extrême comme dans bien des domaines d’ailleurs, règne une vive concurrence. C’est à qui possèdera le plus grand, le plus petit ou le plus gros. Seule la place de premier compte. Il n’est donc pas rare que le public soit victime de supercheries parfois grossières tel ce géant iranien, prétendument grand de 3,20 m mais qui, une fois hospitalisé, mesure un mètre de moins. Pour parer à tout désagrément, les imprésarios exigent d’ailleurs de leurs poulains (avec mention sur le contrat) de ne jamais se laisser mesurer. C’est ainsi qu’une carte postale anglaise de 1911 affirme que le géant Cot mesure, à l’âge de 22 ans, la taille fabuleuse, quoique complètement farfelue, de 2,63 m. Et, histoire d’en remettre une couche, la légende annonce le mariage éminent d’Henri Cot avec une géante anglaise, sans toutefois préciser son nom ce qui, de toute évidence, est plus simple.
En 1911, son imprésario, Souillau, a l’idée de transformer l’image de son poulain. Il lui fait endosser une tenue de tambour-major et l’oblige à porter la barbe, pour faire plus vrai. Devenu grenadier de la garde, un grade qui vous classe un homme, Souillau l’affuble du pseudonyme de Joseph Dusorc, qui n’est autre que le deuxième prénom d’Henri Cot et l’anagramme de son lieu de naissance, du Cros.
Voilà donc notre géant « relooké » et fin prêt pour affronter les géants les plus grands et les phénomènes les plus étranges. Car Souillau a une idée derrière la tête. Il veut traverser l’océan avec sa vedette et le faire engager dans le célèbre cirque Barnum, qui prend ce qui se fait de mieux dans le domaine des extrêmes.
En Amérique, où l’on sait ce que veut dire le mot gigantisme, Henri Cot alias Joseph Dusorc connaît un franc succès dans les états du Sud avant de gagner le Nord où il doit subir la rigueur de l’hiver. Or, la plupart des personnes atteintes de gigantisme sont des êtres fragiles qui dépassent rarement la trentaine. La colonne vertébrale, les articulations les font souffrir ainsi qu’un surcroît d’activité de l’hypophyse. Henri Cot n’échappe point à la règle. Il ne supporte pas le climat et la rigueur des frimas. Affaibli, il décide de rentrer au pays. Il reprend quelques forces à Lyon, dans sa chambre de la rue Félissent, qu’il occupe avec son imprésario. Puis il repart vers de nouveaux horizons, la Hollande, l’Allemagne et l’Autriche avant de regagner son domicile.
A un destin aussi original, il faut une chute de taille. Elle parvient au hameau du Cros sous la forme d’un télégramme annonçant la mort subite du géant Cot, le 12 septembre 1912, dans des conditions obscures. A la version qu’il serait mort d’une attaque cardiaque due à un cœur trop petit succède bientôt la rumeur qu’Henri Cot a bel et bien été assassiné à coups de couteau dans une boîte de nuit où il a l’habitude de se rendre. Le mystère est tel que bien des années plus tard, une revue publie un article affirmant qu’Henri Cot est mort au Cros, à la veille d’un banquet de bienvenue donné en son honneur, ce qui est entièrement faux.
Son enterrement n’en est que plus rocambolesque. L’Académie de médecine, qui a récupéré sa dépouille, en profite pour l’étudier à des fins scientifiques. Puis le corps est rendu à sa famille afin d’être inhumé au milieu des siens. Son cercueil, plombé en raison du voyage, arrive en gare de Saint-Affrique, le samedi 14 septembre 1912. D’une longueur de 2,60 m, large et haut d’un mètre, il ne faut pas moins de dix porteurs solides pour soulever les 500 kilos de charge, d’abord à l’église, où on le laisse sous le porche, ensuite dans le petit cimetière de Mounès, en présence d’une foule immense et de son imprésario qui perd là son poulain et son gagne-pain.
Un bruit, cependant, intrigue les porteurs. A l’intérieur du cercueil, ils entendent rouler des pierres. La rumeur court bientôt le pays qu’en guise de cadavre, le cercueil ne recèle que des clopinettes. Y a-t-il eu mise en scène pour que son corps demeure à Lyon ? Personne, à l’époque, ne désire en savoir plus. Sa tombe aurait pu nous révéler ce mystère. Elle a malheureusement disparu lors de travaux de réfection.
Enterré en grandes pompes, ce qui se justifie pleinement, le géant Cot eut ensuite oublié. Seules, quelques cartes postales, des objets précieusement conservés par son arrière-petit-neveu et quelques notes dans le livre des Records 1976 et 1982 viennent nous rappeler que le géant du Saint-Affricain fut un homme grand à défaut d’être devenu un grand homme.
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