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Marthe Oulié, l’archéologie et l’aventure

L’Histoire a oublié son nom ; l’Aveyron, jusqu’à son souvenir. Dure loi du temps qui efface les actes d’une femme qui, avec quelques amies, attirèrent sur elles les regards curieux et étonnés des scientifiques et des journalistes, fascinés par leur intelligence et l’intrépidité de leurs projets.

Marthe Oulié naît en 1901 à Montbazens, au hameau de la Grave, où son père exerce son talent de médecin. Dès sa prime jeunesse, le besoin d’évasion la titille qui la voit chevaucher à travers la campagne jusqu’aux mines de Decazeville. Mais hors de l’esprit vagabond, l’élève est douée. Paris l’accueille pour suivre des études classiques avant de la voir s’orienter vers l’archéologie qui restera toujours sa matière de prédilection. Cursus brillant puisqu’elle atteint, à vingt-quatre ans, le plus haut degré universitaire, devenant la plus jeune archéologue de France.

 

La plus jeune archéologue de France

Mais Marthe Oulié ne se contente pas de lire et d’étudier. Elle veut voyager, aller au contact des civilisations, s’émanciper aussi. Déjà, son esprit était feu et passion. Larguant toujours les amarres, ses ports d’attache ne lui serviront que d’étapes pour mieux repartir :

« Il y a moins de deux ans (1923), écrit-elle dans une interview au Journal de l’Aveyron (16-06-1926), je n’étais ni archéologue, ni marin mais seulement une étudiante issue de la Sorbonne et de l’Ecole d’histoire de l’Art du Louvre. J’avais seulement devant moi la volonté de réaliser en compagnie de ma condisciple, mademoiselle de Saussure, le rêve de notre enfance : un voyage en Grèce. Nous avions étudié tout spécialement la langue et l’art de la Grèce ancienne et d’autre part, nous désirions ardemment errer sur ces flots que parcourut Ulysse.

Hermine de Saussure avait déjà éprouvé la solidité de son minuscule yacht Perlette l’année précédente en l’aménageant pour l’habitation et en tentant une traversée assez risquée, des îles d’Hyères à la Corse. Nous nous serions embarqués à Marseille sur Perlette si elle n’avait pas été retenue en Suisse quelques mois.

Quant à moi, présentée par mes professeurs d’archéologie à l’Ecole française d’archéologie d’Athènes, j’avais été invitée sur ma demande à assister aux fouilles pratiquées dans l’est de la Crête. J’y partis donc seule, sans presque rien savoir de la langue grecque moderne, à bord d’un petit vapeur grec, le Patris, pour Athènes, en septembre 1923…

Quelques heures plus tard un autre petit vapeur plus encombré d’animaux que de passagers humains, m’emportait à travers le bleu mirage des îles Cyclades vers la Crête dont les hautes montagnes s’aperçoivent de très loin. On débarquait à Candie, ville turque, ville d’aspect africain…

De là un mulet chargé de ma personne et de mon bagage, précédé de son muletier, m’emportait vers Mallia, le site des fouilles encore mystérieux pour moi…

Cette ville préhellénique, capitale de l’est de la Crête, s’étendait sur plusieurs kilomètres. Jamais encore les archéologues ne s’y étaient attaqués. J’arrivais donc sur le site du palais de Chrysolokos à la fin de la campagne de fouilles de 1923, toute néophyte mais néophyte bien enthousiaste et décidée à apprendre le côté pratique du beau métier de madame Dieulafoy ! En trois semaines, je m’habituais à surveiller un chantier d’ouvriers indigènes, à guider leurs pioches, à débarrasser les vases de leur gangue de terre, à relever des estampages, à rédiger le carnet de fouilles…

L’automne venu, je regagnais Athènes en compagnie des membres de l’Ecole française pour y rejoindre mademoiselle Hermine de Saussure et y attendre en visitant les environs, l’arrivée de Perlette que l’on débarqua un mois plus tard au Pirée, toute souillée de poussière de charbon en même temps qu’un petit canot dessiné par sa propriétaire.

Perlette fit aussitôt la curiosité de la population et cette curiosité s’étendit à nous deux, l’unique équipage, quand on nous vit agréer le bateau sans accepter aucune aide si ce n’est pour remplacer le mât. Perlette, sous sa voile de cape s’achemina bientôt entre nos mains vers un petit port plus tranquille de la baie de Phalère, Kartella… »

Cette aventure maritime, Marthe Oulié la raconta dans un ouvrage, « La croisière de Perlette », démontrant un vrai talent d’écrivain, à l’image de Pierre Loti qu’elle admirait. De même que Marthe Oulié était reconnue pour être une excellente oratrice dont les cercles archéologiques et nautiques se disputaient la présence.

 

Quatre femmes et un bateau

L’année suivante, notre navigatrice, désormais bien loin de sa terre natale, conçut l’idée originale d’armer un yacht et d’entreprendre en compagnie d’Ella Maillart, une sportive accomplie et des sœurs Hermine et Yvonne de Saussure, une randonnée nautique en Méditerranée orientale qu’elle décrivit dans son livre « Quand j’étais matelot ».

« On commençait à perdre l’espoir de trouver l’objet désiré. Enfin, à la mi-juin 1925, des amis annoncèrent à l’équipage dispersé aux quatre coins de l’Europe que l’on avait trouvé un petit yacht de treize tonneaux, d’origine bretonne mais familiarisé avec la côte provençale, le Bonita, qui ferait l’affaire. Il y avait son âge, cinquante et un ans, plus que les années du capitaine et du second réunis. Mais il ne fallait plus attendre. Le ban et l’arrière-ban furent convoqués : mesdemoiselles Oulié, Hermine de Saussure, vieux loups de mer, Yvonne de Saussure, directrice de l’Ecole d’art dramatique de Genève et Ella Maillart qui représenta la Suisse aux épreuves nautiques des Jeux Olympiques de 1924 à Paris.

On se répartit la besogne : Hermine de Saussure fut capitaine ; mademoiselle Maillart, second, mademoiselle Oulié, mécanicien. Les machines de son département consistait en poêle, moulin à café, pompe…L’équipage commença d’armer le 1er juillet à Marseille et en partit le 12.

Et ce fut la Corse, la Sardaigne, un nouveau périple de deux mille miles marin (mille sept cents pour la Perlette). »

Nos quatre amazones de l’onde amère connurent la tempête, la fatigue épuisante, l’accident de la mâture et de la voilure compensé par la beauté des paysages et la découverte de lieux inconnus.

« Deux ans de mer Egée, à l’aventure : nous allions d’une île à l’autre ; nous sommes restées davantage en Crête, où nous faisions des fouilles… Un soir, nous avons déterré des lampes qui avaient quatre mille ans. Nous avons fait de petites mèches, nous les avons allumées. Alors, Ella Maillart s’est mise à pleurer. »

L’aventure et l’écriture

Voyages, découvertes archéologiques, ouvrages et conférences à travers la France, Marthe Oulié accomplissait ses désirs tout en devenant une célébrité dans le milieu scientifique. Ainsi, en 1926, à l’âge de vingt-cinq ans, est-elle reçue docteur en lettres après avoir soutenu brillamment sa thèse sur « Le cosmopolitisme du prince de Ligne, d’origine belge mais attaché à la France dont il aimait l’esprit et la littérature.

Cependant, c’est sur un autre terrain que cette jeune femme indépendante, aux boucles blondes, aux yeux clairs, au teint pastel et au sourire s’attardant sur son visage, décidera de s’aventurer. En 1930, elle participe au rallye-auto à travers le Sahara (7000 kilomètres), à l’occasion des fêtes du centenaire de l’Algérie dont elle tirera un nouvel ouvrage « Bidon 5 », couronné du prix littéraire du Touring Club de France.

La même année, elle prépare un livre sur Charcot dont elle fait la connaissance à la Sorbonne lors d’une conférence. Le scientifique était venu à elle et lui demanda :

« Quel âge avez-vous ?

-C’est une question bien indiscrète, commandant !

-Enfin, avez-vous trente ans ? insista-t-il.

– Pas encore, commandant.

– C’est dommage. Je voulais vous donner le Mérite Maritime. »

La conversation s’arrêta sur cet espoir. Ce qui n’empêcha pas Charcot d’appuyer sa demande en faveur de la navigatrice qui finit par l’obtenir.

Si l’été la voyait séjourner en France, à Sceaux, près du château de la duchesse du Maine, l’hiver l’emportait loin de l’hexagone à destination de l’Egypte, du Soudan, du Sahara et des Antilles qu’elle découvre en 1933, nous laissant un nouvel ouvrage « Les Antilles, filles de France ».

Il ne semble pas que Marthe Oulié, dans l’immensité de ses voyages, ait conservé un coin d’Aveyron dans son cœur. Une fois, à la demande de la Société des Lettres, elle fut invitée à tenir une conférence à Rodez mais l’entreprise capota pour de sombres raisons financières, semble-t-il.

Pour soigner une santé chancelante et fuyant sans doute aussi l’occupation allemande, Marthe Oulié s’établit à Cannes où elle décéda en octobre 1941. Depuis, l’oubli a fait son œuvre. Restent les mots de quelques admirateurs à son égard :

« Je vous cite comme un exemple admirable de la Française d’aujourd’hui », dira d’elle Maurice Bedel, prix Goncourt.

« Nulle mieux qu’elle ne sait tenir un auditoire sous le charme ». (Les publications de Madame).

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