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La maison hantée de Frayssinous

Au hameau de Frayssinous, sur la commune de Trémouilles, tout le monde se souvient chez les Soulié des événements qui frappèrent la maison voisine, en ce mois d’août de l’année 1932.

-Eh, pardi, que je m’en rappelle, raconte le « papet », né en 1904 et qui porte bien ses quatre-vingt-quinze printemps. Comme si c’était hier !

Pour un peu, il vous entraînerait jusqu’à l’oustal hanté, à cinquante mètres de là. Et comme les Soulié ne sont pas avares de détails sur cette histoire, le fils sort une photo prise à chaud le lendemain de la première manifestation. Outre les carreaux de la façade qui ont volé en éclats, on y voit la famille Vialaret posant sur le seuil de leur habitation. Mais qui donc est la jeune fille qui se trouve à la gauche de la patronne ? Le père Soulié est formel :

-C’est la petite bonne, Denise Pomarède. Elle était placée là par l’Assistance publique.

Rapprochement troublant. S’agirait-il de la même personne à qui, dix années auparavant, on attribua la responsabilité des événements de Pruns ? M. Soulié en doute fort car, il s’en souvient bien :

-Denise avait moins de dix-sept ans en 1932.

Pour ce qui est des diableries qui se multiplièrent durant tout ce mois d’août, de nombreux souvenirs remontent à la surface.

-Des cailloux, il en pleuvait gros comme le poing. Et s’ils cassaient les vitres, ils ne blessaient jamais personne car ils se mouvaient lentement. Des objets se déplaçaient sans que la main humaine intervienne ! Une chaise est allée se percher sur une armoire. Un « calel » (chandelier ) est passé de la table sur l’entablement de la cheminée. J’en ai vu, des choses ! Et je ne suis pas le seul !

Ces objets familiers, il semble que tout le monde, à Frayssinous, a pu en vérifier les invraisemblances errances. Pis encore, le feu entra dans la danse. Cela commença par un matelas qui se consume sans raison apparente et puis, ici et là, des gerbes de blé ou des bottes de fourrage chargées sur des chars flambèrent spontanément, loin de toute allumette ou torche. Les gens veillaient avec des réserves d’eau à portée mais aucun arrosage ne parvenait à vaincre l’incendie.

-L’eau flambait, affirme M. Soulié.

Son regard interdit de croire à une plaisanterie. Encore moins quand il vous raconte que les flammes se dirigeaient dans le sens contraire du vent, poussées par une force surhumaine, pour ne pas dire inhumaine.

Ah, bien sûr, le curé Bénézet -après de prudentes hésitations- s’est décidé à intervenir sur l’insistance de ses paroissiens qui estimaient que « l’eau bénite serait plus performante que celle des pompiers ». Mais, dès sa première tentative, avant même que le brave prêtre ait pu dresser son goupillon, un terrible déluge de grêle l’obligea à battre en retraite avec acolytes et paroissiens. Adrien Soulié en rit encore, et de bon cœur… Ne le croyez pas mécréant. Simplement, la malice paysanne ne capitule pas, y compris face aux sortilèges.

-Tous ces trucs se produisaient à la tombée de la nuit.

Et d’ajouter, en dressant mystérieusement l’index comme pour évoquer la puissance divine :

-Et jamais le dimanche !

Tout ce train ne va pas sans attirer les curieux à Frayssinous, de quoi rendre jaloux les voisins de Trémouilles. Il en vient de Rodez et de plus loin encore.

-Grâce à quoi, répond le père Soulié, j’ai enfin pu voir de près les automobiles !

A quelque chose, malheur est bon.

La presse régionale, cette fois, est dans le coup. Le journal toulousain La Dépêche du Midi, dans son édition du 10 août 1932, donne le ton : « Les braves gens parlent de faire intervenir le clergé (…) Les gendarmes, mieux que l’eau bénite et une prière, arriveront à découvrir le farceur dangereux » !

Ce même jour, le quotidien aveyronnais, L’Union Catholique, constatant l’émotion des villageois les plus sceptiques conclut : « S’ils ne croient pas en Dieu, ils ne sont pas loin de croire au diable » ! De son côté, Le Courrier de l’Aveyron se fait l’écho, en date du 12 août, de l’enquête que La Dépêche vient de mener sur place. Et d’enfoncer le clou en concluant par une boutade : « Soyons certains qu’avant peu, la gendarmerie aura prouvé que les esprits de la maison hantée ont des jambes et des bras » !

Ce n’est un mystère pour personne : l’antagonisme est vif entre les deux quotidiens dont l’un ne cache point sa fibre républicaine et l’autre ses couleurs cléricales. Les événements de Frayssinous vont évidemment alimenter la rituelle polémique entretenue avec zèle par les feuilles concurrentes.

Le 16 août, un long éditorial titré « Esprits malins » paraît dans La Dépêche. Signé Johnnie, l’auteur n’hésite pas à affirmer que le curé exorciste ne pourra rien faire face aux pandores qui découvriront l’auteur de ces farces. « Le fumiste, qu’on eût jadis jovialement rôti au feu de bois de l’Inquisition et à qui le tribunal correctionnel collera 25 francs d’amende… avec sursis ! De nos tristes jours, où quasi personne ne croyant plus au diable, la religion va se perdant ».

Le 21 août, L’Union Catholique, outrée par le propos, oppose un démenti au scepticisme partisan dont Le Courrier s’est fait l’écho et « dont le but n’est pas douteux pour qui connaît l’esprit dont est animé La Dépêche ». Et de contre-attaquer en citant le cas de deux reporters cantaliens, pourtant peu convaincus par leur visite à la maison hantée mais qui, au moment de la quitter, virent deux pierres tomber du ciel devant leur nez. L’article de L’Union précise à propos de ces enquêteurs : « Comme Thomas (l’apôtre) ils ont cru avoir douté ». Et de conclure : « Nous souhaitons à M. le Correspondant de La Dépêche, d’imiter ces confrères ».

La presse républicaine ne consacrera plus d’articles aux phénomènes dont Frayssinous fut le théâtre et qui cesseront peu avant la fin du mois d’août. L’Union Catholique y reviendra longuement dans ses colonnes des 25 et 28 août, avant de fustiger ses collègues du bord adverse en employant, à leur tour, les armes de l’ironie : « Eh bien, les gendarmes sont intervenus et leur sabre n’a rien fait. Le goupillon du curé a sévi samedi dernier et, depuis lors, plus rien ! »

En effet, la maréchaussée comme l’Eglise -sans doute troublées par les inexplicables faits dont les villages de Pruns et de Frayssinous furent le théâtre- observèrent un parfait silence. Faute d’investigations officielles, les pierres volantes et les fantômes du Lévezou conservent encore tout leur mystère. Libre à chacun de croire aux trèves… ou de ricaner :

-Aquà es la Fusica ! »

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